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Les rues de Puteaux - Rue des Bas Rogers

par Christine Bello

Ecrit pour le Salon d'Automne réalisé par l'atelier artistique.

En ce mois de février l’hiver a encore sévi. Il ne s’est pas contenté de pointer son nez cette année. Se serait-il vexé de trop nous entendre dire que la terre se réchauffe ? Est-ce pour nous taquiner qu’il s’est décidé à remonter la machine à faire la pluie, le « beau » temps, la neige surtout dont il a recouvert Puteaux d’un doux et épais tapis blanc lumineux ? Cette si belle couverture s’est installée dans l’attente du rayon de soleil qui la fera disparaître comme par magie, ce soleil qui va vouloir reprendre l’avantage et se montrer timide mais rayonnant au printemps qui s’approche. Ces pensées m’accompagnent alors que je vais longeant le cimetière en direction de la Seine. Une vue qui surplombe Paris. La Tour Eiffel se présente dans toute sa majesté. Le ciel se montre dans des pastels rosés au loin, bleutés plus près, parsemé de quelques nuages. J’écarquille les yeux pour ne rien perdre du spectacle.

Mais…qu’est-ce ? Des murmures…J’entends parler derrière le mur du cimetière. Par ce froid glacial…un visiteur ? Quel courage. Les murmures s’amplifient, deviennent plus distincts et une voix s’adresse à moi.

« Un connaisseur, une personne qui regarde, qui s’intéresse. Tu n’es pas comme tous ces êtres humains qui aujourd’hui courent après le temps, ne savent pas apprécier le spectacle qui leur est offert ».

« Qui es-tu toi qui me parles ? »

Un peu plus bas j’entre dans le cimetière. Je ne vois personne. J’ai rêvé. Un rire résonne… 

« Mais non , tu n’as pas rêvé. Tu ne peux pas me voir. Je suis dans ma dernière demeure putéolienne. Mais je suis content que tu t’arrêtes un peu. Vous les vivants aimez si peu les cimetières. Mais pourquoi donc ? Nous aussi nous avons notre vie. Regarde comme on est bien. Tous les jours que Dieu fait le spectacle est magnifique, magique même. Mes amis et moi assistons au lever du soleil, difficile lever en hiver mais surprenant en été. Il est comme la cigale et la fourmi à lui tout seul. En été c’est la cigale qui se révèle. Il vit, chante, danse, fait la fête, se couche parce que la nuit a décidé elle aussi d’exister et de garder sa place. D’ailleurs comment pourrions-nous savoir quel jour nous sommes si la nuit ne venait pas structurer le temps. Les rayons du soleil en été sont si ardents qu’il lui faudra les recharger pendant l’hiver. Alors comme une fourmi il se fera économe, ne se montrera que le tiers du temps d’une journée et ne nous enverra que de timides rayons. Et quand il est censé être là, malgré son grand âge, il joue, il joue avec les nuages et la lune. Il se cache derrière eux, pointe un peu de son petit œil rieur pour mieux se dissimuler ensuite. Et lorsque le ciel se met à pleurer il cherche toujours à nous consoler en convolant avec la pluie pour nous offrir un faisceau de couleurs dans un féerique arc en ciel. Le soleil est l’ami de la Terre. »

« Et la Tour Eiffel, la vois-tu ?»

« Oui, bien sûr. N’as-tu pas remarqué qu’elle semble n’avoir été élevée à cet endroit rien que pour nous les putéoliens qui avons tout loisir pour admirer sa robe qui se pare de mille lumières pour fêter différents événements tel que son anniversaire. Un événement, une nouvelle parure, n’est-ce pas là le reflet de toute sa féminité. Les parisiens, à l’exception d’une petite poignée, n’en profitent pas autant que nous. »

« Tu parles si bien de tout cela. Continue s’il te plait ».

« Si la Seine traverse Paris en faisant une superbe courbe gracieuse, qu’elle enlace des îles vestiges de son passé et qu’elle fleurte avec quelques uns de ses plus beaux monuments, ne retrouve-t’on pas un peu de tout cela à Puteaux ? La Seine, notre île, notre pont, la vieille église qui est notre plus vieux monument. Oui Paris en dénombre beaucoup plus que nous, c’est beaucoup plus grand aussi mais Puteaux aussi a une longue page d’histoire. Te souviens-tu de ces pièces très anciennes retrouvées ? Oh ! et notre île, c’est un havre de paix avec son parc, sa roseraie, ses ruches, plus calme que l’île de la Cité grouillante de monde. Nous n’avons qu’un pont mais nous le chouchoutons : un jour des escargots, un autre des photos de vignes…et bien souvent des gerbes de fleurs. Alors, que penses-tu de tout cela ?»
«Moi, tu m’étonnes, en fait j’ai du mal à comprendre, tu me parles aussi bien de choses anciennes, bien connues que de plus récentes. Déjà il m’est difficile de savoir comment tu peux me parler du passé, mais pour ce qui est du présent…et puis j’ai l’impression que tu lis dans mes pensées, c’est un vrai mystère ».

« Le monde de ceux qui ont quitté la terre est impénétrable. Tu ne peux, toi vivante, le comprendre. Je vis autre chose, différemment, c’est inexplicable au vivant que tu es. J’ai du temps, tout le temps, les heures, les jours, les mois ne comptent plus. Pour te parler je suis obligé de me mettre à ta portée sinon aucun dialogue ne serait possible. Mais je suis content de l’avoir fait. »

« Je suis contente aussi d’être entrée en relation avec toi. Je suis heureuse d’avoir eu ce privilège. J’espère que nous nous rencontrerons de nouveau prochainement. »

« Tu sembles avoir bien froid à m’écouter. Je vais te laisser aller ton chemin.»

« A bientôt ma voix. »

« A bientôt. »

Ma Voix a disparu. J’ai repris ma route. Et depuis, chaque fois que je longe le mur du cimetière, rue des Bas Rogers, je lui dis bonjour en espérant qu’elle me réponde.