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Eloge de l'Aquarelle

par Jean Roussaux

Je soutiens que l'aquarelle est la plus aboutie des expressions picturales. Elle est bien supérieure au pastel, à la gouache et tout particulièrement à la peinture à l'huile. De mon temps on chantonnait, et on chantonne peut-être encore : "la peinture à l'huile, c'est bien difficile mais c'est bien plus beau qu'la peinture à l'eau". Je soutiens que c'est là contre -vérité et je vais, de ce pas, vous le démontrer.

Pour peindre à l'huile, il vous faut d'abord revêtir une blouse ou un grand tablier, comme en portent les épiciers ou les charcutiers. Il faut ensuite recouvrir vos cheveux d'un bonnet ou d'une petite calotte, comme celle que porte Pasteur sur les images du grand homme. Il faut ensuite placer devant vous le chevalet bien lourd et bien stable sur lequel repose le châssis de bois portant la toile tendue, le champ qui exprimera votre talent de peintre. Le châssis sera de belle taille car on ne fait pas de petites huiles... D'ailleurs ne dit-on pas de grands personnages que ce sont des "huiles" !

A main gauche, vous porterez la palette de bois couverte de « crottules » colorées : terre d'ombre naturelle, bleu de Prusse, cobalt ou ocre jaune, rouge de cadmium ou laque de garance ou je sais quoi encore dont la couleur réelle ne vous apparaîtra que lorsqu'elle s'étalera sur la toile. A main droite, un jeu de brosses, les unes à longues soies relativement souples, les autres à poils courts et raides, larges comme une incisive, voire plus encore, d'autres enfin de martre, pour peaufiner un détail.

Il vous faudra bien sur le flacon d'huile de lin, celui de térébenthine et le godet pour en faire le mélange et le gobelet à solvant, pour rincer les pinceaux. Et puis le siccatif et je sais quoi encore.Enfin vous n'oublierez pas un grand tabouret sur lequel vous pourrez poser un demie fesse lorsque la station debout alourdira vos jambes.

Ah, j'allais oublier, il vous faut un sujet. Une nature morte, qu'à cela ne tienne, quelques draperies riches en plis, une coupe de fruits et une théière argentée apportant une touche de lumière, agrémenteront l'affaire. Souhaitez -vous faire un nu, un beau nu, aux beaux seins bien dodus et aux jambes d'un galbe harmonieux et si le visage est agréable, cela ne gâtera rien. Votre femme ou votre bonne amie feront- elles l'affaire ? Et si le peintre est du beau sexe, pourra-t-il trouver en son bedonnant mari le modèle idéal ? Et si le paysage vous tente, hormis dans votre jardin, vous voyez-vous partir dans la campagne avec tout l'attirail que je viens d'énumérer ?

Enfin, après tout ce tracas, vous allez pouvoir peindre. Esquisser le sujet, préparer le fond, attendre un peu que sèche la peinture, enfin vient le moment tant espéré où vous déposerez, avec délectation, la première touche, Si la touche vous déplait, un nouvel apport de matière se mélangera à la pâte encore fraiche et ainsi on effacera, on raturera, on remodèlera à souhait. Point de surprise dans cette aventure mais seulement du métier. Le solide métier appris de vos maitres..

En bref : la peinture à l'huile n'est pas difficile, mais des fournitures, il en faut bien trop.
Et l'huile sent mauvais et colle à la peau ; Ce n'est pas le cas d'la peinture à l'eau..

Voyez l'aquarelliste, il trotte d'un bon pas. Sur son dos, un pliant qui reposera ses fesses, un petit chevalet et une petite musette contenant la boite de couleurs en godets ou en tubes, de Schmincke, Winsor et Newton ou Rowney au miel ainsi que le bloc de papier, au feuilles encollées. Et deux ou trois pinceaux, bien dodus ou fins et effilés, permettant le lavis ou la touche de fini. Et une bouteille de belle taille dont l'eau diluera le pigment ou vous désaltérera le moment venu.
> A peine le sujet trouvé, le voilà déjà esquissé à grands traits de crayon puis bientôt recouvert de flaques colorées, transparentes, à peine limitées, et de passages de blanc bien vite agrémentées. Tout est de premier jet, c'est l'immédiateté. Point de retouches possibles, l'erreur ne s'efface pas. De retour en arrière, il n'en est point question.

L'air sent bon la verdure et la fraicheur du soir, l'aquarelle est finie. L'aquarelliste se lève, s'étire, recule d'un pas, admire son oeuvrette. Il y a là une touche qu'il n'avait pas prévue mais du plus bel effet. En revanche, cette tache, informe et délavée, gâche le si beau ciel qu'il avait espéré. Aquarelle réussie ou aquarelle ratée, cela tient à un fil, mais au fond peu importe, c'était une belle journée.

Et si de parti pris, voire de mauvaise foi, bientôt vous m'accusiez, admirez Bonington, Turner et Delacroix aux divines aquarelles. Ne sont-elles point égales aux huiles mémorables de Titien à Rembrandt, de Frans Hals à Cézanne ou Van Gogh ou Dali.Et la cathédrale de Rouen vue par l'eau gouachée de Turner n'est-elle pas aussi admirable que les multiples huiles météorologiques de Monet sur le même sujet ? Les aquarelles si vivantes du Boudin des bords de mer ne valent-elles pas ses huiles ?

Enfin, croyez-vous que les grands machins huileux des baigneuses de Cézanne, les tableaux naïfs du Douanier, agréables lorsqu'ils sont réduits mais si peu supportables à leur taille réelle ou certains Picasso qu'il est bon de trouver admirables, soient les témoins de la supériorité de l'huile. On ne trouve point de l'insupportable dans l'aquarelle.

Alors, quand je fais l'éloge de l'aquarelle, n'ai-je pas de bons arguments ? Si vous en doutiez encore, pouvez-vous y réfléchir ?