Littérature > Publications > Nouvelles > Un après-midi d'été Un après-midi d'étépar Stéphanie AlbarèdeJulie sent ses jambes qui s’impatientent. Elle voudrait courir dans tous les sens et sauter mais elle a promis à sa mère de bien se tenir. Dans sa robe des grands jours, elle balance, gauche, d’un pied sur l’autre. Elle suçote son index. Elle frissonne sous l’effet désagréable de la salive qui pénètre sous l’ongle. Elle a un peu trop chaud, elle est sûre que ses joues ont pris la couleur d’un bonbon Kréma à la cerise. Elle aimerait retirer son gilet mais elle a peur des réprimandes si elle venait à l’oublier. Et ça, elle le fait très bien. Elle a déjà égaré, le mois dernier, un mouchoir brodé aux initiales de grand-maman et des barrettes. Ses yeux scrutent le paysage qui s’étend devant elle. Une colline. Un chemin monte dans les hautes herbes. Une famille le descend lentement. Une petite fille gambade devant la mère. La chaleur de l’été n’a pas encore complètement jauni la végétation mais de la terre semble s’élever une vapeur rendant flou tout ce que Julie contemple. Au loin, un couple en noir a également emprunté le sentier. Lucie plisse les yeux pour rendre l’image plus nette, en vain. Elle forme alors, comme le lui a appris sa mère, un petit orifice en enroulant son index dans le creux du pouce et y fixe son œil. Cette lunette improvisée n’a pas l’effet escompté, la mise au point ne se fait pas. Dans le brouhaha sourd qui l’entoure, elle tend le cou comme pour entendre la voix de la petite fille au chapeau de paille. Rien. L’herbe a revêtu toutes les nuances de vert, de l’amande au glauque en passant par l’émeraude. L’ombrelle rouge vif de la mère se confond avec les taches éparses des coquelicots. Sa petite fille tend la main. Fait-elle un signe ou s’apprête-t-elle à cueillir une fleur des champs ? Julie piétine. Ses petites mains encore potelées froissent le coton ajouré de sa robe. Elle jette un œil sur sa gauche. Là, les meules de foin semblent somnoler dans l’attente d’un enlèvement. L’ombre qu’elles projettent annonce une fin d’après-midi. Leurs cimes coniques leur donnent l’aspect de huttes africaines, comme celles qui sont dessinées dans son imagier. Au loin, la haie d’arbres vert tendre délimite le champ de blé et laisse apparaître un chapelet de toitures. L’enfant imagine des fermes en pierre comme chez grand-maman. Personne, les paysans ont déjà quitté les champs. Julie plaque ses deux mains sur ses oreilles. Elle ferme les yeux. Un bruit sourd tel le bourdonnement de ruche s’élève. Le champ mitoyen n’est pas encore entièrement fauché. Derrière un tapis de fétus, des épis viennent de se coucher sous l’effet d’une fine brise. Un oiseau perturbé par le bruissement soudain du blé a pris son envol. Julie a du mal à en définir la teinte. Est-ce une perdrix, une pie ou une alouette ? Julie se met à fredonner tout bas « je te plumerai … ». Le ciel traversé de nuages laiteux a pris une teinte bleu gris. Le temps semble se rafraîchir pourtant Julie passe sa langue sur sa lèvre supérieure pour estomper la sensation de soif. Son gilet la gratte un peu. Les jeux d’ombre et de lumière en mouvance sous l’effet du vent irisent le blé d’un dégradé de jaune allant de la couleur du sable saharien à celle du pain doré auquel se mêle le vert des pousses les plus jeunes. De-ci, de-là, des coquelicots, petites gouttelettes de sang perdues dans cette marée céréalière, attirent le regard. Julie aimerait retirer leurs pétales pour les rouler entre ses doigts afin que le rouge artériel prenne la teinte du sang veineux. Maman n’aime pas ça, elle a toujours peur qu’elle se tache. Julie sautille sur place. Elle jette un oeil sur sa mère. Celle-ci est en grande discussion avec deux messieurs. Son tailleur coquille d’œuf contraste avec leurs costumes sombres. Derrière eux, la campagne a laissé place à la rigueur de l’homme : un parterre d’iris en rangées bien ordonnées. Elle aime les couleurs qu’elle voit, elles lui sont douces à la vue. Le camaïeu de mauve lui rappelle le cours de madame Passereau avec ses rangées de ballerines en tutu orné d’un volant de tulle parme. L’ombre des peupliers assombrit les iris les plus lointains, élargissant la palette de couleurs que lui offrent ces fleurs délicates. Le sol aux tons rougeâtres des terres des indiens d’Amérique semble réchauffer le paysage. Julie pense aux briques de l’âtre de chez grand-maman.
Julie rougit. Le vieil homme reprend :
Le vieil homme rit.
Tableau n°1 Pierre-Auguste Renoir « chemin montant dans les hautes herbes » |
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