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Tea bag de Henning Mankell  
Ed. JC Lattès, 220 p.

par Nathalie Levassort

 

Des ombres au bord de la lumière 

Que peut découvrir un poète bellâtre dans le cœur de jeunes filles venues d’ailleurs ?

On peut s’interroger sur ce qui pousse les intellectuels, les acteurs, les écrivains à s’engager rageusement pour la cause des sans-papiers et pourquoi ces derniers sont une fréquente source d’inspiration, la preuve en est de la récente production littéraire et cinématographique…

Henning Mankell apporte un élément de réponse : afin de redonner un visage aux invisibles.

Il donne la parole à trois jeunes filles qui ont perdu leur nom, leur famille ou l’amour.

Elles croisent le chemin d’un écrivain, un personnage de roman que l’on aime détester : égocentrique, lâche, confortablement inséré dans une société occidentale, suédoise en l’occurrence.

Il comprend peu à peu que leur donner la parole, c’est retrouver le chemin de leur vrai nom.

Le récit rocambolesque de cet intellectuel aisé perdu en banlieue est souvent cocasse ; il est entrecoupé pudiquement par la voix des jeunes immigrantes et leurs mots sans concession.

Il ne s’agit pas de rédemption ni de récit initiatique : l’écrivain conserve ses défauts et les jeunes filles ne sont pas des anges.

L’auteur ne veut ni bouleverser ni culpabiliser le lecteur. Sous sa plume, les héroïnes gardent leur dignité.

Il s’agit d’une simple prise de conscience.

Il y a des âmes grises en Occident dont les os ne blanchissent pas dans le détroit de Gibraltar ou que la mafia de l’Est n’a pas fait disparaitre ; d’autres encore  désirent s’affranchir de codes ancestraux et aimer librement. Tant qu’elles n’ont pas de nom, tant qu’elles se cachent, elles espèrent échapper à la guerre, à la misère ou au mariage forcé.

Mais soupçonnons-nous un seul instant ce que peut être une existence sans nom et sans visage ?

Or se faire un nom, emprunter mille visages est au cœur du travail de l’artiste : c’est peut-être en cela que le sort des clandestins fait vibrer une corde sensible.

La force de ce roman est d’avoir la modestie, la lucidité de confronter l’égo d’un européen nanti à des jeunes filles qui ont tout perdu.

 

Henning Mankell est un auteur reconnu de romans policiers, père de l’inspecteur Wallander. Son incursion dans le roman est réussie.

On y retrouve sa mélancolie, son regard sur la société suédoise ; affranchi de l’ingrédient noir, son style gagne en humour et en sensibilité.