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Pouvait-on sauver Bellini ?


Par Jean Roussaux


Vincenzo Bellini (1801-1835) est un de ces météores de la musique comme Chopin, Mendelssohn ou Schubert dont l'œuvre peut-paraitre inachevée. Pendant sa courte vie, outre diverses compositions dans le style napolitain, il produira trois chefs-d'œuvre du répertoire lyrique : La sonnambula, Norma et I puritani (Les Puritains)
Né en Sicile, à Catane, il est au conservatoire de Naples l'élève du compositeur Zingarelli. Il commence à composer à vingt-quatre ans d'abord une messe en la-mineur puis un concertino pour hautbois et cordes qui dévoilent déjà son talent mélodique. Il sera ensuite invité à composer des opéras pour les théâtres italiens (Theatro San Carlo, La scala de Milan, Theatro Carlo Feli de Gênes). Certains musicologues trouvent son écriture sommaire et lui reprochent la pauvreté de sa polyphonie et de son orchestration mais mêmes ceux qui n'appréciaient pas la musique transalpine reconnaissaient la sensibilité de ses compositions. Berlioz, qui l'avait traité de « petit polisson », Chopin dont il fut un des inspirateurs, Wagner qui lui sacrifia Weber, Schumann et Tchaïkovski, tous lui rendirent hommage, sensibles à la justesse de son expression et à la mélancolique tendresse de son inspiration.

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L'homme avait un aspect romantique, un charme de dandy blond dont les manières ingénues séduisaient. Il cumulait les aventures amoureuses. Pourtant certains ont prétendu qu'il était préoccupé de lui-même, jaloux de ses rivaux comme Pacini et Donizetti et qu'il manquait de galanterie à l'égard des femmes. Mais ces vilains traits de sa personnalité étaient occultés par le charme de sa musique et sa naturelle élégance.
En 1833, après un séjour à Londres, Bellini, par l'intermédiaire de Rossini, reçoit commande d'un opéra nouveau pour le Théâtre-Italien de Paris. Il choisit un sujet historico-romantique : ce sera les Puritains, œuvre qui remportera un grand succès et dont les Français n'ont retenu que le duo du 2ème acte pour en faire une marche militaire. Pour préparer ce nouvel opéra Il séjourne alors fréquemment à Puteaux au 63 quai National (actuel quai De Dion-Bouton), à la Villa que lui louent des amis anglais, les Levys. C'est là qu'il s'éteindra le 23 Septembre 1835 avec la seule assistance d'un médecin italien qui ne pouvait exercer en France, Montallegri.
Surpris par le décès brutal de l'illustre compositeur, le gouvernement ordonne une autopsie. Comme un des symptômes de la maladie qui avait emporté Bellini était la dysenterie, on soupçonne le choléra dont une épidémie avait fait des ravages à Paris en 1832. L'autopsie fut confiée à un professeur de la Faculté de médecine de Paris qui était un spécialiste du choléra et des pathologies intestinales. Ses conclusions qui excluaient le choléra et un éventuel empoisonnement, établissaient que la mort était due à une inflammation de l'intestin. Bellini fut inhumé au cimetière du Père-Lachaise puis exhumé 40 ans plus tard pour rejoindre sa ville natale de Catane.
Ce n'est qu'à la fin du XIXème siècle qu'il apparut comme évident que Bellini était décédé d'une amibiase ayant entrainé une détérioration de la muqueuse intestinale et un volumineux abcès au foie. D'ailleurs Bellini souffrait de troubles intestinaux depuis 1828 qui étaient soignés par des vésicatoires comme on le faisait à l'époque. Une crise plus violente avait même entrainé une convalescence de plusieurs mois à Moltrasio au bord du lac de Côme.
Or depuis les travaux des pharmaciens Pelletier et Cavantou en 1822 on connaissait la quinine et l'émétine. La quinine, extraite du quinquina, se révèlera active contre les amibes après les travaux de Lösch à Saint-Pétersbourg en 1871 mais elle est inapplicable en traitement, la dose utile pour éliminer les amibes étant trop toxique pour l'homme. Quant à l'émétine, issue de l'ipéca, une plante brésilienne, elle est extraite dès 1817 par Pelletier et sera proposée plus tard, en 1910, pour traiter avec succès les amibiases. Mais il faut dire que depuis le XVIème siècle certains connaissaient l'activité de l'ipéca pour traiter les diarrhées. Par broyage des racines on obtenait une poudre dont la composition exacte était gardée secrète. C'est en utilisant cette poudre, en 1687, que le médecin hollandais Helvétius aurait guéri d'une dysenterie le Grand Dauphin de France après avoir préalablement fait quelques essais sur des malades à l'hôpital général et à l'Hôtel -Dieu. Il faut dire aussi que l'émétine était inscrite dans la Pharmacopée Française depuis 1818, que dès 1830 Trousseau et Bretonneau avaient préparé des suppositoires de quinine et que Magendie avait montré que l'émétine pouvait pénétrer au travers du derme. Il faut enfin dire qu'à la même époque le laboratoire de Pelletier qui extrayait et purifiait ces alcaloïdes se situait à Neuilly les Sablons, à deux pas de la Seine et de la villa Levys. Assurément, dès cette époque, un médecin bien informé aurait pu proposer un traitement par l'un ou l'autre de ces deux médicaments qui, apportés par voie orale, rectale ou en vésicatoire, auraient pu entrainer une grande amélioration à l'état de Bellini, voire le guérir. Ainsi lorsque Bellini meurt à Puteaux en 1835, tout était là pour le sauver.

Pour en savoir plus :
Brunel Pierre, Bellini, Fayard, Paris 1981.
Trépardoux Francis : quinine et émétine une thérapie pour sauver Bellini en 1835, Revue d'Histoire de la Pharmacie,335 :401-426,2002.



J.R. - 05/2023