étude


Anniversaire - Il y a 500 ans - Inauguration de la chapelle Notre Dame de Pitié


Par Jean-François Martre



Les habitants de Puteaux ont cherché de tout temps leur indépendance vis à vis de Suresnes dont ils dépendaient sur le plan religieux. Déjà au XIIe siècles ils ont été excommuniés pour avoir refusé d'accomplir leurs obligations paroissiales.
Les hameaux privés d'église ou de chapelle, et conséquemment de desservant, relevaient en ce qui concerne l'exercice du culte, et pour la plus grande commodité des habitants de la paroisse la plus voisine.
C'est ainsi qu'on a pu dire qu'aussi longtemps qu'ils furent sans cure, sans chapelle et sans prêtre, les habitants de Puteaux se trouvèrent, mais au sens spirituel seulement, dans la dépendance de Suresnes. Aucun lien civil ne subordonnait un village à l'autre.
Jusqu'à la fin du XVe siècle, Puteaux est un petit hameau situé le long de la Seine, à mi-chemin entre les bacs de Suresnes et de Neuilly. Il est composé de deux rues parallèles à la Seine. Entre la première rue (actuellement la rue Voltaire) et la rivière Seine se trouvent les berges, une zone inondable et marécageuse sans habitation. C'est cette rue qui se transforme vite en chemin, longeant la plaine vineuse, qu'empruntent les habitants pour se rendre à l' église de leur paroisse, Saint Leuffroy, qui se trouve à Suresnes. La deuxième rue est la rue Poireau (actuellement rue Benoit Malon). Au-delà de la rue Poireau, on est dans les vignes qui remontent la colline. Au pied de la colline circule la route empruntée par les voyageurs pour aller de Neuilly à Suresnes puis Saint-Cloud, et qui ne traverse pas le bourg.

C'est un petit bourg d'environ 300 habitants, presque tous vignerons. On retrouve les mêmes noms de famille à Suresnes, Courbevoie et Nanterre.

« En 1509, les paroissiens putéoliens adressent une requête à l'abbé de Saint-Germain-des-Prés, Guillaume Briçonnet, évêque de Lodève, fils d'un ancien Premier Ministre de Louis XII, pour avoir l'autorisation d'édifier une chapelle. Mais ce n'est qu'en 1519 que cette autorisation leur est accordée en ces termes :

« A la requête et supplication de tous les manants et habitants dudit Putheaux, Révérend Père en Dieu, Messire Guillaume Briçonnet, par permission divine évêque de Lodève, comte de Montbrion et Monastère de Saint-Germain-des-Prez-les-Paris et de tous les couvents de ce même lieu, assemblés en chapitre en la manière accoutumée, voient et ont consenti et accordé que lesdits manants et habitants de Putheaux en ayant par eux la permission du R.P., en Dieu, Monseigneur l'Évêque de Paris et du Curé de Suresnes, puissent faire bâtir et édifier une chapelle, en lieu, place convenable et honnête du village, garnie d'une cloche seulement, en laquelle chapelle lesdits manants et habitants peuvent faire dire, chanter et célébrer messe ès-jours de dimanches, fêtes et autres jours par le curé de Suresnes, son vicaire ou député, par lui et non par autres, les jours de Pasques, Pentecôte, Toussaint, Noël et Chandeleur exceptés : lesquels jours aucune messe ne sera dite et célébrée en ladite chapelle, mais en iceux-jours seront tenus lesdits habitants de Putheaux ouïr le service divin en leur Église Paroissiale de Suresnes.. »


Entre 1509 et 1519, l'air du temps change vite.
François 1er engage des négociations avec le Pape qui aboutirent au Concordat de Bologne le 18 août 1516. Désormais et cela jusqu'à la Révolution française, le roi nomme les évêques, les archevêques et les cardinaux.

Guillaume Briçonnet, de son côté, anima un groupe de prélats désireux de se consacrer à leurs obligations religieuses. C'est une nouvelle génération porteuse d'une vision différente en proposant avec Érasme et Thomas More une synthèse inédite de la foi et de l'humanisme. (Référence : Qu'est-ce qu'une église page 269).

« Le texte de l'autorisation insiste pour dire que, malgré l'édification de ladite chapelle, rien ne doit être changé aux habitudes et coutumes, les habitants de Puteaux restent paroissiens de Suresnes, la chapelle de Puteaux « sera et demeurera une chose annexée jointe et inséparable à jamais d'icelle cure de Suresnes, comme si elle était construite sous le même toit.
En icelle chapelle, iceux manants et habitants ou autres, ne pourront jamais faire ni ériger fonts de baptême, ny cimetière, mais prendront tous leurs sacrements en cette paroisse de Suresnes ».


Les biens et revenus appartenant à une église et destinés aux frais du culte et à l'entretien de l'église étaient gérés par la fabrique que le corps des marguilliers administrait. Ces marguilliers étaient élus parmi les habitants honorables ayant quelques aisances et instructions. Les manants et habitants de Puteaux devaient donc s'appuyer sur quelques marguilliers influents de la fabrique de Suresnes. Toujours est-il qu'ils acceptent les conditions et se mettent à l'œuvre, et c'est ainsi que, quatre ans après :

Le vendredi 26 mai 1523, une chapelle dédiée à Notre Dame de Pitié est bénie et inaugurée par François de Poncher, évêque de Paris.


Etude042-1
Photo JMF

L'abbé Machuel le présente ainsi en 1933 : « les putéoliens avaient une chapelle et le vocable était nouveau ; en effet, le culte de Notre Dame des Douleurs, ou des Pitiés, prenait à ce moment un essor extraordinaire.

« .bâtir et édifier une chapelle en lieu, place convenable et honnête du village »

A cette époque cela voulait dire qu'elle devait être bâtie au cœur du village, le long d'une voie fréquentée pour être au plus près des fidèles, il faut prévoir une place devant et respecter l'alignement des maisons.
La fabrique a donc acquis un grand terrain en bord de Seine, limité côté de la rivière par la zone des crues et par le chemin de halage, au cœur du village, mais il n'a pas été possible, malgré les recommandations de l'époque, d'être le long de la rue principale (actuellement rue Voltaire) qui était déjà construite de maisons d'habitation.
Ce terrain permet d'élever une belle chapelle et de prévoir l'emplacement d'un cimetière dont on espère bien obtenir rapidement l'autorisation (elle viendra cinquante ans plus tard). L'édifice respecte l'alignement du bâti et une grande place le sépare des maisons devant le porche. Deux rues latérales lui donnent de la visibilité et quand on se rend à la rivière, on longe forcément la chapelle.

L'orientation du bâtiment est est-ouest. Le chœur est à l'est, dos à la rivière ; la façade et le porche d'entrée sont à l'ouest face au village.

Les dimensions de cette chapelle sont connues puisqu'elles correspondent à la moitié de l'église actuelle, côté chœur. Le soubassement fait de gros bloc de pierres est différent de celui construit au XVIIe, et le remplissage des murs n'est pas identique comme on peut le voir sur cette photo.


Etude043-2
Photo JFM

La chapelle est faite d'un seul vaisseau, très court à l'époque, terminé par une abside polygonale formant le chœur. L'édifice est éclairé par de grandes baies à arcs brisés qui rendaient le lieu particulièrement lumineux.


Etude043-3              Etude043-4

Les murs sont terminés par une voûte ogivale lambrissée, soutenue par une charpente apparente favorisant la parole et le chant comme dans les églises médiévales.
Malheureusement cette voûte qui a traversé toutes les restaurations a été détruite par un incendie le 4 novembre 1899 pendant la restauration du toit (cela nous ramène aux évènements dramatiques récents de Notre Dame de Paris).


Etude043-5
APGO
Etude043-6
Relevé photogrammétrique - Médiathèque du patrimoine

Lors de la bénédiction de la chapelle, l'évêque consacra trois autels.
Le maître autel était à cette époque au fond du chœur, le prêtre célébrant ad orientem, dos aux fidèles, face à la croix au-dessus de l'autel. La pierre d'autel devait avoir une cavité pour recevoir une relique.
On ne sait pas à qui étaient dédiés les deux autres autels.

La façade était certainement dans le même style. Les putéoliens avaient obtenu l'autorisation d'avoir une cloche qui devait rythmer la vie du village, et bien sûr ils l'installèrent au sommet du porche. Nous n'avons aucune image de cette façade.

Les travaux et les finitions de cette chapelle vont continuer pendant une trentaine d'année. En 1544, des testaments de vignerons suresnois portent legs en faveur de la chapelle de Puteaux et dons les années suivantes pour achever le bâtiment et y célébrer des messes. En 1558, création des vitraux d'une grande finesse qui vont illuminer la chapelle. Ils sont financés par les dons de riches paroissiens. C'est ainsi que le vitrail de l'Assomption de la Vierge est offert par Pierre Barbier, marchand boucher, natif de Puteaux et sa famille. En 1573, les putéoliens obtiennent quelques aménagements par sentence de l'Official de Paris et la chapelle devient succursale de la paroisse de Suresnes. C'est le début de l'indépendance vis à vis de Suresnes. Cependant, le texte est très précis :

« On permit de conserver un Ciboire avec les Saintes hosties pour la communion des fidèles, d'y avoir des fonds baptismaux et un cimetière à condition que le prêtre desservant serait institué par le Curé de Suresnes pour autant qu'il le jugerait à propos ; que les habitants de Puteaux seraient obligés de le loger, meubler et entretenir à leurs dépens, de lui donner outre cela 50 livres de rente, moitié à Pâques, moitié à Saint Rémy, et qu'ils assisteraient à l'office divin dans l'église de Suresnes les jours de Pâques, de la dédicace de Saint Leuffroy, patron de la paroisse (21 juin) et autres grandes fêtes s'ils n'en étaient empêchés pour cause légitime. En conséquence, il fut donné permission à Pierre, évêque de Gap, de bénir un certain espace de terre proche de cette église, pour servir aux inhumations ». (Référence Leboeuf)

En 1575, création du premier cimetière de Puteaux sur la place devant l'entrée de la chapelle. Jusqu'à cette date on enterrait les morts à Suresnes. Les récentes fouilles ont mis en évidence la présence de ce cimetière. Par ailleurs on enterrait quelques religieux et notables dans la chapelle elle-même.

Il est probable que pendant ces quelques quarante ans, Puteaux a bénéficié de l'effervescence qui régnait de l'autre côté de la rivière avec la construction du château de Madrid par François 1er terminé par son fils Henri II.
Girolamo della Robbia qui dirigea les travaux de 1528 à 1548, puis de 1559 à 1566 habitait Puteaux. La célébrité du château tenait au riche décor de terre cuite émaillées en bas-relief qui recouvraient la presque totalité des façades et sur lesquelles le soleil couchant brillait de mille feux comme aujourd'hui sur les façades de la Défense. Le florentin faisait fabriquer ces terres cuites à Suresnes et les convoyait par barges jusqu'aux rives du château.
Puis vinrent les guerres de religion pendant lesquelles Puteaux et Suresnes restèrent attachées au parti catholique ce qui valu quelques escarmouches dramatiques avec les protestants qui attaquèrent et incendièrent le clocher de l'église Saint-Leufroy de Suresnes faisant plusieurs morts et privant d'église les suresnois pendant deux ans.

Au tournant du siècle, de nombreux notables s'installent à Puteaux et la chapelle devient trop exiguë. Par ailleurs, la volonté de s'affranchir de toute dépendance avec Suresnes s'exacerbe. Un nouveau projet va se concrétiser entre 1614 et 1650, celui d'une église de 250 places assises et de 50 chaises à la tribune. On va détruire la façade de la chapelle, doubler la surface et rajouter une tour clocher. Les travaux commencés en 1614 seront achevés dans les années 1650, intégrant l'ancienne chapelle dans la nouvelle église. Cette nouvelle église montre la détermination des putéoliens à prendre leur indépendance complète qu'ils n'obtiendront, après plusieurs démarches, qu'en 1717 avec la création de la paroisse de Puteaux.



Etude043-7
Sur cette photo, on a à droite le mur de 1523 de la chapelle et à gauche le mur de 1640 de l'église.

Sources :
- Histoire de la Paroisse de Puteaux, éditions La Source 92
- Bulletin SHALP de 1942
- Abbé Lebeuf, Histoire de la Ville et de tout le diocèse de Paris.
- Architecture et patrimoine, APGO, Diagnostique avril 2016




JF.M. - 05/2023