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Une brève histoire de l'officine


Par Jean Roussaux


           L'officine (du latin atelier), notre pharmacie, désigne historiquement le lieu où sont fabriqués, entreposés et vendus les médicaments. C'est donc une boutique de vente et le lieu d'exercice du pharmacien qui confectionne les remèdes, exécute les prescriptions du médecin, vérifie la posologie et les contre-indications, adapte éventuellement la posologie et assure le suivi de la médication du patient. Au cours du temps les caractéristiques de l'officine ont évolué en même temps que changeaient les modalités de l'exercice de la pharmacie, tout particulièrement depuis le XIXème siècle et la fabrication industrielle du médicament.
En 1859, Henry Dunant orne d'une croix rouge un hôpital de campagne. Depuis ce symbole, devenu vert et comportant éventuellement la coupe d'Hygie (déesse de la santé) enlacée d'une couleuvre, signale au public la boutique du pharmacien.

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➽ Le commerce du médicament et l'exercice de la pharmacie

           Le commerce du médicament a commencé en même temps que le développement de la médecine mais la profession de pharmacien est apparue un peu plus tard que celle de médecin. L'ancêtre du pharmacien c'est l'apothicaire (apothêkê : réservoir) dont on trouve des traces dans les documents sumériens et égyptiens remontant à plus de mille ans avant J.C. Dès la Grèce antique et à Rome l'activité commerciale se diversifie, le droguiste (pigmentarius) fabrique et vend des produits chimiques, l'herboriste (rizotomoi ou coupeur de racines) récolte et vend les plantes médicinales, le bouilleur de myrrhe est préparateur de médications et le parfumeur-épicier(aromatarii) commercialise de la parapharmacie. Pourtant, chez les romains et les grecs, le médecin est encore souvent préparateur et vendeur du remède dans les officines comme celles de Rome ou celles dont on trouve des vestiges à Pompéi. Ainsi Claudius Galienus, le célèbre Galien, médecin de Marc-Aurèle, prépare de nombreux médicaments dans son officine de la voie Appienne à Rome. Il introduit de nouvelles formes pharmaceutiques si bien que certains le considèrent comme le père de la pharmacie. La confection du médicament, la galénique, rappelle d'ailleurs sa mémoire.

La véritable séparation entre médecine et pharmacie s'opérera progressivement au cours du moyen -âge. La distinction entre médecine et pharmacie est déjà bien caractérisée dès le IXème siècle dans les pays arabes. A Bagdad, les premières officines datent de 750, un inspecteur de la pharmacie aurait existé ainsi qu'un tableau légal des médicaments, première esquisse d'une pharmacopée. Au XIème siècle à l'école de Salerne, pharmacie et médecine sont déjà séparées. A la suite des croisades qui voient se développer des ordres de moines chevaliers, les hospitaliers ou chevaliers de Malte ouvrent de nombreux hospices. A Rhodes, l'hôpital comportait déjà une pharmacie et un pharmacien. En France la plus ancienne pharmacie date de 1268, à Strasbourg. C'est la période où Saint-Louis (Louis IX) donne un statut aux apothicaires pour la préparation et la vente des médicaments. L'antidotaire de Nicolas (dû peut-être à un certain Nicolas de Salerne) codifie les remèdes que distribuent les apothicaires.

Mais, en France, l'apothicaire reste sous le contrôle des médecins ainsi que l'indique une ordonnance royale de 1336 (Philippe VI de Valois) et, plus tard, un arrêt du Parlement de Paris (1598) qui interdisent à "tous apothicaires de délivrer des drogues sinon sur ordonnance du docteur de leur faculté" . D'ailleurs pour les médecins la pharmacie était une discipline subalterne et leur présence dans les jurys des examens pour être apothicaire montrait bien que cette profession était sous tutelle. Toutefois une déclaration royale de Louis XV de 1724 permettait à l'apothicaire de se rendre au chevet des malades et de prescrire, si aucun médecin n'était disponible. En 1777, Louis XVI donne son indépendance à la corporation des apothicaires sous la forme d'un Collège de Pharmacie. Après une brève période d'exercice libre de la pharmacie suite à la révolution de 1789, le Consulat réorganise les professions de médecin et d'apothicaire, séparant nettement les deux activités mais réservant bien sûr le droit de prescrire au médecin.

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L'épicier                                     l'apothicaire                          Le barbier-chirurgien

           Au XIIIème siècle se développent des corporations qui rassemblent des artisans exerçant les mêmes activités. Ainsi se constituent des communautés d'apothicaires, régime qui durera 5 siècles. Au départ une certaine rivalité existe, elle persistera longtemps, entre les épiciers, les apothicaires, les médecins et même les barbiers-chirurgiens qui tous pouvaient vendre des drogues. En effet ces derniers, arracheurs de dents et poseurs de pansements, pouvaient aussi délivrer des remèdes pour l'usage externe et les maladies vénériennes.

Pendant longtemps l'apothicaire n'est d'ailleurs pas nettement distingué de l'épicier, ils se trouvent d'ailleurs réunis au sein de la même corporation des boutiquiers. En effet, à cette époque, drogues et épices se confondent. Ainsi, le poivre qui guérit les frissons et les morsures de serpents ou, bien plus tard, le chocolat, réputé aphrodisiaque et fortifiant de l'estomac, ont un temps fait partie de la pharmacopée. Charles VIII, réglementant en 1484 la profession d'apothicaire, la sépara de celle d'épicier, ce qui fut confirmé par Louis XII (1514) qui consacre la supériorité de l'apothicaire sur l'épicier. La confusion perdura néanmoins longtemps, accompagnée de conflits entre apothicaires et épiciers ce qui justifia que Louis XVI décide de séparer définitivement les deux professions et instaure le Collège de Pharmacie.

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           Le métier d'apothicaire fut donc pendant longtemps régi en corporation, la formation se faisait par apprentissage auprès d'un maitre, situation qui durera jusqu'en 1803 où la loi du 21 germinal an XI instaure un examen national et officiel pour devenir pharmacien. La formation du candidat apothicaire s'effectuait dans une officine où il apprenait l'art de préparer et de dispenser les remèdes. Après cinq à six ans, il pouvait accéder à des examens : lectures des ordonnances (souvent rédigées en latin), reconnaissance de plantes et de drogues puis réalisation d'un chef-d'ouvre consistant en la préparation de remèdes réputée difficile. A la suite de la loi de 1803, l'enseignement devient plus théorique et plusieurs écoles de pharmacie sont créées.

Afin de contrer les charlatans, en 1638, le codex de Paris présente une liste de produits et préparations que doivent respecter les apothicaires ; celui-ci sera réédité ensuite en français (1803,1884.) ou en français et latin (1866). Même si, un moment, on distingue le pharmacien qui prépare le remède et l'apothicaire qui le vend, dès cette époque les officines ont le monopole de la vente de médicaments. Il faudra attendre une loi de 1945 pour instaurer un ordre des pharmaciens. De cette histoire persistent, chez les pharmaciens, deux frustrations : celle de rester sous la tutelle médicale, au médecin la tâche noble de diagnostiquer et prescrire, et celle d'être encore parfois confondu avec un épicier, nom dont on les affuble encore péjorativement.

➽ L'officine

           Avec le temps, les officines deviennent des boutiques attrayantes. Les vitrines peuvent s'orner de grandes bombonnes pleines de liquides de diverses couleurs ou être décorées par les ustensiles et récipients nécessaires à la préparation des médicaments : balances romaines et trébuchets, mortiers de bronze ou de marbre destinés au broyage, tamis et étamines pour les filtrations, presses pour extraire les huiles et autres cornues et cucurbites pour les distillations. On y adjoint parfois quelques animaux empaillés ou des moulages de champignons qui illustrent le côté naturaliste de la formation du pharmacien. Malheureusement les vitrines actuelles des pharmacies comportent plus de publicités et de parapharmacie que de belles reliques.

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Balance de précision             Trébuchet                     Mortier               Distillateur         

           Quant à l'intérieur de l'officine il comporte au moins trois parties. D'abord une pièce où sont stockés les produits nécessaires à la confection des remèdes : huiles et solvants divers, sels minéraux et composés organiques, poudres végétales, teintures mères, voire souches homéopathiques. Puis le laboratoire, lieu de préparation du médicament, comportant balance de précision, mortiers et verreries diverses : verres à pied, fioles et éprouvettes graduées.

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Droguier               Pot et vase à thériaque                         Pharmacie Lhopitallier      

           Enfin la boutique elle-même où se délivre le remède. Elle se pare d'étagères peuplées de flacons multicolores, de pots de pharmacie en faïence luxueusement décorés, de vases à thériaques contenant les compositions galéniques les plus complexes. Tout ce décor induit chez le client à la fois un sentiment de respect pour la science du pharmacien et la certitude d'un effet bénéfique des remèdes qu'il distribue. A Paris, la plus belle des officines qui s'ornait de flacons colorés se situait place du Panthéon au 3 de la rue Soufflot ; c'était la pharmacie Lhopitallier qui a fermé ses portes en 2012.

➽ La publicité pharmaceutique

           Au début les pharmaciens ne font pas de publicité, craignant d'être pris pour des charlatans. Toutefois autour de 1860 une loi permet le dépôt d'une marque, ce qui est important puisqu'une loi de 1844 écartait le médicament du champ des brevets. Dès lors, bien qu'interdite, la publicité pour des médicaments est tolérée ; elle va devenir envahissante lorsque se développe l'industrie pharmaceutique. On vante auprès du public pastilles contre la toux et autres sirops et même de véritables poisons comme des fortifiants, des crèmes au radium ou, autour de 1920, un médicament contenant du thorium radioactif* pour guérir les rhumatismes, le diabète et l'impuissance. Le produit fut plus tard interdit car il provoquait des leucémies et des anomalies chromosomiques.

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Publicité pour de bons remèdes...mortels !!

           Toutefois la publicité pour les spécialités est réservée à la presse médicale et aux professionnels de santé, parfois accompagnée de cadeaux. Je me souviens de buvards, blocs de papier et autres stylos jadis largement distribués aux jeunes étudiants en médecine. Avec l'extension du régime d'assurance sociale et l'allongement de la durée de vie le marché du médicament devient prospère et le nombre des spécialités qui encombrent les officines s'accroit.

*L'homme est normalement confronté à de petites doses de radiations. Le potassium 40 et le carbone14 rayonnent un peu de particules béta. Le radon est également un isotope fréquent dans l'écorce terrestre (granites). Le carbone 14, régénéré par les rayons cosmiques, est absorbé chez le vivant mais ne l'est pas dans les organismes morts. La teneur en carbone 14 diminue alors de manière exponentielle d'où la méthode de datation des fossiles (mesure des particules, période carbone 14 : 5700 ans).

Ainsi de la taberna medica romaine, en passant par les pharmacies nestoriennes et arabes, la boutique de l'épicier-apothicaire, l'apothicairerie du XVIIIème siècle et notre moderne pharmacie, l'officine a dispensé de tous temps les remèdes : des "simples" et de savantes mixtures, des préparations magistrales puis les médicaments industriels, les accompagnant souvent de précieux conseils. Elle reste un des instruments incontournables de la santé publique.


J.R. - 04/2022