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L'ASPIRINE




























































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































étude


Une histoire du médicament


Par Jean Roussaux


➽ Introduction

           Qu'est-ce qu'un médicament ? Pour un grand médecin, Vulpian, anatomiste, élève de Flourens, « c'est un produit que l'on administre pour ramener à l'état normal des fonctions organiques troublées par la maladie ou pour guérir des lésions de tissus ou d'organes » . Actuellement, pour être plus précis et plus général on peut dire que « c'est un produit (ou une action) d'origine naturelle ou artificielle(technologique) possédant des propriétés curatives ou préventives à l'égard des maladies humaines ou animales et destiné à maintenir ou rétablir l'état de santé » . Le médicament et la médecine qui le prescrit sont certainement aussi vieux que l'humanité. En un sens on peut même dire aussi vieux que la vie animale puisque des travaux montrent que de nombreuses espèces pratiquent des actions à visée thérapeutique. C'est peut-être en suivant leur exemple que nos ancêtres ont progressivement sélectionné des plantes et des interventions destinées à soigner leurs plaies et guérir leurs maux.

           Au cours de l'histoire le médicament comme l'acte médical, d'abord intimement liés, n'ont pas été séparés de la magie puis de la philosophie et de la religion. La mythologie regorge de références à des médicaments. Les dieux et les héros eux-mêmes confectionnaient des remèdes : Demeter des décoctions calmantes à base de lait de pavot et Médée, la criminelle sorcière, un baume qui rendait le guerrier invulnérable. Les peuplades primitives qui utilisaient des poisons pour la chasse faisaient appel à des stimulants et des hypnotiques voire des drogues hallucinogènes comme celle issue du peyotl, un cactus des hauts-plateaux mexicains. Quant à nos ancêtres, chasseurs-cueilleurs du Paléolitique, ils avaient certainement développé tout une panoplie de remèdes comme l'ont montré les travaux des ethnologues qui ont étudié des aborigènes du cap York ou de Groote Eylandt au nord de l'Australie. Ces peuplades connaissaient plus de 600 espèces d'animaux et de plantes dont ils savaient non seulement l'utilisation, voire la toxicité, mais ils étaient aussi capables de les classer.

➽ 1 - Les premières traces.

           La plus ancienne trace de remèdes connue semble être la pharmacopée de Sumer, gravée en écriture cunéiforme sur des tablettes de bois de Nippur et trouvée à Babylone. Elle daterait de 3000 ans av JC. On y évoque déjà la jusquiame, une belle plante aux pétales veinés que l'on trouve dans des lieux incultes, l'opium et la mandragore. Beaucoup plus tard on trouve des écrits sur l'usage des médicaments dans le Pent-Sao chinois (2700 ? av JC) et le papyrus d'Ebers (1600 av JC) qui fut découvert à Louqsor en 1862.

La Chine

        Dans le Pent-Sao on trouve déjà ce qui fait la base de la médecine chinoise et de sa pharmacopée : utilisation de substances naturelles parfois répugnantes comme dépouilles d'animaux, sécrétions et excréments mais aussi des remèdes d'incontestable valeur comme le nitre ou salpêtre, le borax antiseptique, l'alun décapant des métaux ou les sels de cuivre. Une masse énorme de médicaments appartenant aux trois règnes de la nature : minéral, végétal et animal constitue cette pharmacopée. Ces remèdes sont ceux de la médecine traditionnelle chinoise basée sur l'opposition Yin-Yang et qui est fortement imprégnée de taoïsme, un des piliers de la philosophie chinoise. Un auteur auquel on prête beaucoup d'inventions, Shennong, dont l'existence autre que mythologique est discutée, serait à l'origine d'une première pharmacopée phytothérapique.

L'Egypte

        La civilisation égyptienne apporte également des informations aussi anciennes et importantes pour l'histoire du médicament. Le papyrus d'Ebers contient plus de 700 noms de drogues et préparations : des sédatifs comme l'opium ou le chanvre, plante voisine du houblon. Le papyrus évoque aussi des purgatifs comme le séné et le ricin, le rôle contraceptif de la gomme d'acacia (gomme arabique) en association avec les dattes mais aussi des substances plus étonnantes comme l'intestin d'antilope ou le sang du ver de terre. On y indique aussi les vertus antirhumatismales et antipyrétiques de l'écorce de saule blanc, un ancêtre de l'aspirine.

        L'écorce de saule a été utilisée pendant plus de 3000 ans. Inconnue des sumériens, elle est utilisée par les égyptiens. Hippocrate la propose pour soulager les douleurs de l'accouchement. Les indiens américains utilisaient également l'écorce de saule alors qu'en Europe on disposait de la reine des prés dont les vertus sont voisines. Ces végétaux contiennent de la salicine, substance qui fut extraite par Büchner en 1828. Ce composé peut donner de l'acide salicylique qui présente des propriétés semblables à celles de la salicine mais que, dès 1858, on peut préparer par synthèse chimique C'est par cet acide que les médecins des années 1860 soignaient leurs rhumatisants. Le produit avait mauvais goût et attaquait le tube digestif. En 1890, les laboratoires Bayer fabriquent cet acide et des dérivés salicylés dont l'un, l'acétylsalicylique, est mieux toléré : ce sera l'aspirine. Ainsi nommée par Bayer, (a pour acétyl et spirine qui dérive de Spirea la fameuse reine des prés riche en dérivés salicylés), l'aspirine entrait dans l'histoire de la pharmacie.



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Saule blanc                         Aspirine du Rhône ...               Spirée ulmaire

           L'aspirine sera l'objet de nombreuses chicaneries entre sociétés pharmaceutiques (Bayer, Rhône Poulenc.). Avec le temps ses effets toxiques sont découverts : toxicité digestive pourvoyeuse d'ulcères, effet hémorragique qui a pu entraîner une mortalité par hémorragies pulmonaires pendant l'épidémie de grippe espagnole de 1918-1919. Cet effet est cependant apprécié des cardiologues lorsque la posologie est réduite. L'aspirine est donc un médicament simple issu de recherches du XIXème siècle, largement utilisé ensuite avec parfois des dommages liés en particulier à des posologies excessives.

L'Inde et la Perse

           Parmi les autres pays d'orient, l'Inde et l'Iran livrent aussi un riche héritage pour l'histoire du médicament. L'Inde développa d'intéressantes connaissances médicales et chirurgicales (chirurgie de la cataracte). Les documents les plus importants sont les Védas, plusieurs livres dont la date de composition est discutée. L'Ayur-Veda (science de la vie) expose un système de médecine savante et ésotérique originaire de l'Asie du sud, la pharmacopée indienne étant imprégnée de données d'origine chinoise. La médecine traditionnelle indienne se retrouve dans la médecine tibétaine dans laquelle l'administration des médicaments s'accompagne de prières et de pratiques magiques destinées à détourner les mauvais esprits.
           En Perse, l'histoire médicale est longue et prolifique, sous le règne de Cyrus (v 540 av JC) qui fut prospère, elle subit de nombreuses influences étrangères qui apportèrent des éléments scientifiques à la pharmacopée traditionnelle.
           Quant à la médecine hébraïque, un millénaire av JC, les connaissances que nous en avons viennent de la Torah (les cinq livres de Moïse). Il s'agit avant tout de nombreux préceptes hygiéniques comme le lavage des mains lorsqu'on a touché un cadavre. Semmelweis n'avait, semble-t-il, rien inventé..

➽ 2 - La Grèce

           C'est en Grèce que la science pharmaceutique va prospérer, bien entendu d'abord associée à la religion. Les racines mythologiques sont évidentes : Orphée, poète et médecin ou Mélampe utilisent des médicaments. L'un tente de ressusciter Euridice avec du suc de plante, l'autre, qui y gagne un royaume, soigne la folie des filles de Prétus avec l'hellébore. Mais le premier des médecins grecs est Esculape (Asclépios), fils d'Appolon. Il tente de ressusciter les morts ce qui ne lui porte pas chance car cet orgueil déplait à Zeus qui le foudroie. Des temples lui sont dédiés à Epidaure, Rhodes ou Cos. Les prêtres, les Asclépiades, veillent à la santé des hommes et accumulent les premières connaissances médicales dont héritera le père de la médecine, Hippocrate.

           Homère, huit siècles avant notre ère, dresse un catalogue de plantes (flora Homeria) dont bien peu toutefois sont des plantes officinales. Les savants présocratiques grecs bien connus, les mathématiciens Thalès et Pythagore, l'atomiste Démocrite ou Empédocle des quatre éléments, se sont tous un peu occupés de médecine. On connait les vertus du chou ou de la moutarde, on confectionne lotions et onguents.

           Hippocrate (Vème siècle av JC) fils d'un prêtre de Cos, une île de la mer Egée, apporte à la médecine la méthode scientifique et sépare celle-ci de la religion. Il utilisait peut-être 300 plantes dont l'absinthe, l'hellébore (la rose de noël), la coloquinte ou la mercuriale et le trio bien connu des anciens : la jusquiame, l'opium et la belladone.



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Hippocrate                                        Hellébore                                       Belladone


           La belladone, voisine de la jusquiame et du tabac, belle plante de sous-bois dont les fruits sont des baies noires très toxiques qui peuvent tenter de jeunes enfants. Cette belladone contient des alcaloïdes comme la scopolamine et l'atropine toxiques pour l'homme mais pas pour le lapin qui peut les détoxiquer. Selon certains les sabbats des sorcières seraient des délires atropiniques. Les sorcières se rendaient au sabbat à cheval sur un balai dont le manche était enduit de belladone dont le poison pénétrait rapidement par leurs vulves. L'atropine est un antispasmodique encore utilisé en médecine. Elle provoque la mydriase, dilatation des pupilles qui donne des yeux noirs, ce qui renforçait le charme des dames qui se mettaient quelques gouttes d'une infusion de belladone dans les yeux.

           Hippocrate utilisait aussi des produits animaux, les cantharides, et de nombreuses préparations minérales. Toutes ces substances se présentaient sous la forme de médicaments à usage interne, décoctions, infusions et autres mélanges additionnés de vin ou de miel, ou de médications externes : onguents, lotions ou cataplasmes. Cette riche matière médicale est résumée dans le "Corpus Hippocraticum" qui ne fut imprimé que bien plus tard vers 1526 à Venise et que traduisit ultérieurement Littré.

           Après Hippocrate, Platon et Aristote touchèrent à la médecine mais le premier fut plutôt philosophe et le second naturaliste. Quant à Théophraste (350 av JC), disciple d'Aristote, il fut plutôt botaniste, fondant une science botanique théorique indépendante de la médecine. Il écrit un livre, «Recherche sur les plantes» et décrit plus de 300 plantes médicinales. L'œuvre d'Hippocrate sera amplifiée par les travaux de Dioscoride dont le "Materia medica" (77 ap JC) recense plus de 500 drogues d'origine végétale ou animale. Il s'agit avant tout d'un ouvrage de pharmacologie car les indications sur les plantes elles-mêmes, formes des feuilles, des fleurs et des fruits, habitat, restent succinctes.

➽ 3 - L'Ecole d'Alexandrie

          On sait que sous le règne des Ptolémées (de 323 à 30 av JC) Alexandrie devient un centre commercial et culturel important sans pourtant assurer un réel développement de la science médicale et pharmaceutique. Néanmoins, les deux médecins créateurs de l'école, Erasistrate et Hérophile de Chalcédoine, font évoluer les remèdes, le premier les simplifie, le second les complique. Beaucoup de documents anciens accumulés dans la grande bibliothèque des Ptolémées seront détruits entre 47 av JC et 600 ap JC, lors d'un grand incendie et de diverses circonstances, séismes ou conquête arabe. On doit pourtant à l'école d'Alexandrie l'introduction dans la thérapeutique du soufre mais aussi des excréments du crocodile, du fiel de chameau ou des testicules du bélier !

           A cette époque certains souverains se révèlent amateurs de connaissances pharmaceutiques : Mithridate VI le grand (135 ? - 63 av JC), roi du Pont, un royaume d'Asie mineure, comprenant l'actuelle Cappadoce, est surtout connu pour s'être immunisé contre tous les poisons possibles en particulier grâce à une thériaque (du grec bête venimeuse) fort complexe comportant plus de cinquante composants. Il perd son père à 11 ans, peut-être empoisonné par sa mère. Inquiétant début. Il quitte le palais qui lui parait peu sûr et auprès de paysans et de bergers il s'intéresse aux plantes et commence à immuniser son organisme en absorbant chaque jour de petites doses de poison. Il a 18 ans quand il revient au palais, sa mère étant morte, peut-être l'avait-il empoisonnée, et épouse sa sœur. Au cours de son règne, il a résisté aux généraux romains Sylla, Luculus et Pompée (guerres mithridatiques, 88-65 av JC). L'histoire raconte qu'il s'était fort bien immunisé car lorsqu'il voulut s'empoisonner pour échapper aux armées victorieuses de Pompée, il n'y réussit pas et dut se faire égorger par ses gardes.



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Mandragore                               Bataille d'Actium (31 av JC)        


           Autre souverain amateur de science, la reine Cléopâtre ; on lui attribue des ouvrages médicaux et pharmacologiques comme le kosmètikon, livre de remèdes dermatologiques. Elle s'intéresse aussi à la gynécologie avec une tendresse des plus relatives puisque, pour étudier la formation du fœtus, elle faisait, dit-on, éventrer ses servantes qu'elle avait fait engrosser par ses gardes. Lorsqu'elle dut attendre près de trois ans le retour de son amant Marc-Antoine, englué dans les conflits succédant à la mort de César (44 av JC), elle réclama le sommeil à la mandragore, la plante magique, la fleur d'amour des hébreux, une solanée voisine de la belladone dont la racine évoque une forme humaine. La défaite ultérieure de Cléopâtre et de Marc-Antoine à Actium (31 av JC) devant Octave, le futur empereur Auguste, marque la fin des Ptolémées et de l'ère hellénistique en Egypte.

➽ 4 - Rome

           A Rome, au temps de la République, la pharmacopée est assez pauvre, faisant surtout appel aux drogues utilisées par les grecs. L'histoire retient deux médecins : Archagatos et Asclépiade de Bithynie, deux médecins grecs installés à Rome. Le premier applique une thérapeutique violente et le second une thérapeutique douce : vraisemblablement adepte d'Epicure, il prescrit gymnastique, bains et bons vins. Pline lui consacre trois paragraphes dans son histoire naturelle. Il semble contester la compétence d'Asclépiade, beau parleur, dont le succès serait dû à la crédulité des patients romains.

           Sous les Empereurs se multiplièrent les thériaques, ces compostions complexes destinées à fortifier l'individu. Andromaque dit l'ancien, médecin de Néron, produisit une célèbre thériaque. La recette subit de nombreuses modifications mais perdura jusqu'au XIXème siècle. Son héritière, la grande thériaque de Moyse Charras (1667) n'est supprimée du Codex qu'en 1884. Bien entendu cet Andromaque-là n'a rien à voir avec la pièce de Racine, purement mythologique.



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Pot à thériaque                      Pline l'ancien                      Claude Galien


           Mais les auteurs qui enrichirent les connaissances sur la science du médicament en collationnant de nombreuses connaissances antérieures sont Pline l'ancien, Dioscoride et Galien. Pline dans son "histoire naturelle" (70 ap JC) répertorie de nombreuses plantes et Dioscoride montre les propriétés pharmacologiques des plantes officinales dans son "traité de matière médicale" de 60 ap JC.

           Claude Galien (131-200), le médecin de Marc-Aurèle et de Septime-Sévère, est probablement celui qui domine cette période, c'est le dernier grand médecin de l'antiquité gréco-romaine. Il donne la priorité à l'observation anatomique et à l'expérimentation. Il attire l'attention sur l'importance du régime alimentaire et du bon comportement pour le maintien de la santé. Il formule de nombreux remèdes, séparant les remèdes simples des remèdes composés. Il explique l'activité des remèdes par la théorie des quatre éléments d'Empédocle dont les qualités sont le chaud, le froid, le sec et l'humide. Aux formes galéniques déjà utilisées par ses devanciers, il ajoute les "acopes", sorte de mélange à base de matières grasses qui calme la mélancolie et les "malagmates" à base d'huile et de gomme. Précurseur du thermalisme, il envoyait ses malades tuberculeux respirer l'air soufré des volcans de Sicile. Son œuvre a certainement contribué à la polypharmacie qui se développa chez les médecins arabes.

➽ 5 - Le Moyen-Age

           Au début du Moyen-âge, vers 500 à 600, à la suite du démembrement de l'Empire romain, en Europe occidentale et à Byzance, l'art médico-pharmaceutique est d'abord pollué par des pratiques de sorcellerie et de magie puis les véritables connaissances pharmaceutiques sont localisées dans les couvents et les monastères. C'est là que l'on cultive les simples : cresson, fenouil, menthe, sarriette, rue, dont le catalogue constitue les "Hortuli". Les médicaments confectionnés sont sous la garde d'un moine apothicaire, nom qui apparait la première fois dans une ordonnance du pape Pelage II (VIème siècle). Les papes voyaient d'ailleurs d'un mauvais œil cette activité médico-pharmaceutique qui présentait souvent un volet commercial. Charlemagne dans ses "capitulaires" favorise l'étude des simples et indique les plantes médicinales qui devaient être cultivées dans les couvents. Les décrets étatiques portant sur la pharmacie étaient déjà à l'ordre du jour.

           Hildegarde von Bingen (1098-1180), musicienne et naturaliste, peut-être la première écologiste, catalogue de nombreuses plantes et remèdes. En ces temps de féminisme galopant, il faut rappeler que les femmes ont joué un grand rôle dans le développement de la botanique ce que remarque déjà au XVIIème siècle Sydenham, l'Hippocrate anglais, à propos de la botanique savante : « Billevesée, Monsieur, je connais à Covent-Garden une bonne femme qui s'y entend bien mieux en botanique ».

➽ 6 - L'Ecole Nestorienne

           Mais les progrès de la pharmaceutique se développent surtout à cette époque en orient avec l'école nestorienne et dans les pays arabes. Les Nestoriens, des Chrétiens qui ont été considérés comme hérétiques à la suite d'une controverse entre patriarches (Nestorius de Constantinople et Cyrille d'Alexandrie), avaient été exilés de Byzance au Vème siècle. Ils fondent dans le Khouzistan, province iranienne au voisinage du golfe persique, une école de médecine réputée qui fait le lien entre la science orientale de l'Inde et la science méditerranéenne. Ils font de la pharmacie une science à part dont les données sont codifiées dans le "Krabadin", sorte d'ancêtre des Codex. Parallèlement ils traduisent en syriaque de nombreux textes des médecins anciens. Un nestorien, Jean Mésué de Damas, dit l'évangéliste des pharmaciens, rédigea en 830 le "De re medica" qui sera consulté pendant tout le Moyen-Âge. Un autre Mésué, dit le jeune ou pseudo-Mésué, publie un "antidotaire" qui accorde au sucre une place privilégiée si bien qu'on peut considérer Mésué le jeune comme le père de la confiserie. Il faut cependant remarquer que les informations de cette époque recèlent bien des incertitudes.

➽ 7 - L'Age d'or de la science arabe

           A la suite de la grande expansion du monde arabe, Damas, Ispahan, Samarcande, Bagdad deviennent des centres intellectuels dans lesquels brille une science arabe portée à l'expérimentation. Puis la science arabe se répand du Tigre asiatique jusqu'à l'Ebre espagnol. C'est la période des grands médecins arabes : Avicenne (qui n'est pas arabe) et Rhazès en orient et Averroès et Albucassis, le chirurgien renommé, en occident. Ils sont des représentants de l'école arabe qui s'étend du VIIIème au XIVème siècles.

           Avicenne (980-1037) est un philosophe et médecin, né dans l'actuel Ouzbékistan, que certains considèrent comme le père de la médecine moderne. Son œuvre fera référence en Europe jusqu'au XVIIIème siècle. A 18 ans il guérit le souverain de Boukhara d'un ulcère. Il étudie le fonctionnement du cerveau et découvre le caractère contagieux des maladies infectieuses, proposant la quarantaine pour en limiter les effets. Autour de 1020, Il écrit les cinq livres du " canon de la médecine et du médicament" qui seront plus tard traduits en latin, le "livre de la guérison" et bien d'autres ouvrages scientifiques. C'est lui qui invente la dorure des pilules et introduit une démarche scientifique dans l'étude des remèdes. Ainsi il préconise pour l'étude expérimentale des remèdes de n'utiliser que des médicaments simples, d'observer le temps d'action et de vérifier que l'effet s'observe sur un grand nombre de cas, l'expérience étant faite sur le corps humain et non sur celui d'un animal.



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Science arabe                             Avicenne                          Averroès         


           Rhazès (autour de 900 ap JC) fut un grand médecin iranien. Il parle de l'orpiment et du réalgar (des minéraux à base d'arsenic) et du borax, le borate de soude. Il introduit l'usage de l'alcool et écrit un traité sur la variole et la rougeole.

           Averroès (1126-1198) est un médecin musulman andalou mais aussi philosophe. Son œuvre influence les philosophes médiévaux, latins et juifs. A Cordoue, la ville de tolérance où se côtoient musulmans, juifs et catholiques, il échafaude une théorie de l'intelligence et avec d'autres fait connaitre les eaux de vie, les sirops, les élixirs, les loochs (médicament sirupeux à base d'émulsion de mucilage), le sublimé ou calomel, l'oxyde rouge de mercure, les acides nitrique et chlorhydrique, le nitrate d'argent. En 1166 il publie le "Colliget", livre de généralités sur la médecine et les plantes officinales.

           Au XIIIème siècle, Ibn-al-Baytar, médecin à Séville puis finalement au Caire, botaniste auprès du sultan, décrit plus de 2000 drogues dans son "Corpus simplicium medicamentum". Antérieurement, au VIIème siècle, un savant philosophe, Al-Kindi avait écrit le "De gradibus" dans lequel il introduisait les mathématiques dans la pharmacologie.

➽ 8 - L'Ecole de Salerne et l'Ecole de Montpellier

           L'école arabe s'éteignit assez vite en Asie mais elle se perpétua en Espagne et influença deux autres écoles médico-pharmaceutiques : l'école de Salerne et celle de Montpellier.

           L'école de Salerne (Royaume de Naples, Italie XIème siècle) traduit en latin de nombreux ouvrages byzantins et arabes. La matière médicale prend un nouvel essor, la "Schola Salernitana" présente les principaux remèdes utilisés au sein de l'Ecole. Constantin l'Africain est un médecin né à Carthage qui vit d'abord en Tunisie puis s'établit en Italie où il rédige la plus grande partie de son œuvre ; il est un des artisans de l'essor de l'école de Salerne. A Salerne, les pharmaciens qui sont séparés des médecins, jouent un rôle important dans le développement de la pharmacopée. Leurs officines sont l'objet de contrôles réguliers.

           Parallèlement il existe à cette époque des écoles rabbiniques à Narbonne, Béziers, Nîmes, Tarascon ou Arles qui enseignent la pharmacie. L'école de Salerne, les juifs et les arabes concourent pour fonder, au XIIème siècle, une nouvelle école qui n'a d'abord rien d'institutionnel. En effet, c'est le Seigneur de Montpellier qui accorde à ses constituants (mais non aux médecins juifs pourtant nombreux) le droit de pratiquer et d'enseigner la médecine. A partir de 1220, les papes (Honorius III et Nicolas IV) transforment cette école en une université consacrée presqu'exclusivement à la médecine et à la pharmacie. Ainsi nait l'Université de Montpellier qui est une des plus vieilles universités médicales du monde.

           L'université aura une grande renommée due à l'excellence des savants qui assurent les enseignements : Gui de Chauliac et Arnault de Villeneuve d'abord, puis de grands médecins botanistes comme Rondelet, les Bauhin et Lobel. La renommée est grande aussi par les élèves qu'elle produit : l'un des plus connus est François Rabelais qui y obtint son titre de docteur en médecine. L'université se dote d'un jardin des plantes, antérieur à celui de Paris. Elle se dote aussi d'un droguier (1633) qui présente plus de 10.000 échantillons de remèdes végétaux, minéraux ou d'origine animale, précieuses reliques pour l'histoire de la pharmacie. Après diverses péripéties, Napoléon crée en 1803 l'Ecole Spéciale de Pharmacie dont l'enseignement est assuré par des maitres-apothicaires montpelliérains et de remarquables savants, comme le pharmacien et chimiste Balard qui sera le directeur de thèse de Pasteur.

➽ 9 - Alchimie et pharmacie

           Au moyen-âge et à la Renaissance se développe une science ésotérique qui a pris naissance dans le monde arabe à Alexandrie : l'Alchimie. L'idée principale de ce courant de pensée c'est qu'il existait une substance, la pierre philosophale, qui devait purifier les métaux de leurs impuretés et faire apparaître l'or pur qu'ils étaient censés contenir. Cette substance qui transmutait des métaux vils en métaux précieux devait aussi avoir le pouvoir de laver les corps de leurs impuretés et de les maintenir en perpétuelle santé. Geber, un savant d'origine yéménite, est un des premiers adeptes de cette école alchimique, il confectionne un élixir rouge qui serait un remède à tous les maux. Les autres savants arabes, Rhazès, Albucassis ou Avicenne, n'échappent pas à cette illusion mais leurs recherches ont néanmoins enrichi la matière médicale.

           Ces idées vont s'introduire en Europe et plusieurs savants alchimistes du XIIIème siècle furent de véritables scientifiques : Albert le Grand, Albert de Bollstadt ou Albert de Cologne (autour de 1200-1280) est l'auteur d'une œuvre de grande ampleur qui aborde plusieurs aspects de la biologie et de la médecine. Ce dominicain qui voyagea beaucoup enseigne en particulier à Paris autour de 1240. La rue Maitre Albert près de la place Maubert rappelle ce passage. Une partie de son œuvre est relatée dans le "Grand Albert, un mémoire qui sera réédité jusqu'au XVIIIème siècle.



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Albert le Grand                          Fénugrec                               Amanite tue-mouches          


           Outre des enseignements sur les animaux et les secrets des femmes, il aborde les vertus des plantes et des pierres. Dans son "Vegetabilibus et plantis" il décrit de nombreuses plantes en s'inspirant d'Aristote. Botaniquement, c'est approximatif, mais l'utilité de la plante est bien décrite. On y apprend par exemple que le fénugrec (Trigonella) qui harmonise les formes des esclaves trop maigres avant la vente pour les harems, favorise la sortie du fœtus et qu'il donne une bonne odeur aux déjections ou que le champignon aux boursouflures saillantes (notre amanite tue-mouches, Amanita muscaria) est mortel à tout coup et qu'il tue les mouches si on le réduit en poudre dans du lait.

           A la même époque, on attribue à Arnault de Villeneuve la découverte de l'alcool et à Raymond Lulle, philosophe et théologien, un "Testament de l'art chimique" dans lequel il décrit la rectification des vins, l'extraction des huiles essentielles et expose de nombreuses connaissances en pharmacologie. Toutefois, la majorité des alchimistes se sont surtout intéressés aux élixirs et aux métaux préparant ainsi l'essor de la chimie métallurgique.

➽ 10 - La Renaissance

           A la Renaissance (XVIème siècle) on redécouvre l'anatomie un peu abandonnée depuis Galien. Le principal initiateur est Vésale, natif du Brabant, qui publie à Padoue en 1543 son "De humani corporis fabrica". L'ouvrage comporte un texte de Vésale et de nombreuses illustrations faites par des auteurs anonymes dont certains appartenaient peut-être à l'atelier du Titien. En outre, des alchimistes comme Paracelse ou Van Helmont font la transition entre la chimie ésotérique des alchimistes et la chimie scientifique.

           Paracelse, tête ardente et fou de génie, médecin suisse, est resté célèbre pour sa théorie des signatures selon laquelle l'aspect d'une plante et sa couleur indiqueraient ses propriétés médicinales. Ainsi la couleur jaune du latex de la chélidoine, voisine du coquelicot, des magnifiques eschscholtzias et bien entendu du pavot, l'indique comme remèdes des maladies du foie. On la connait maintenant comme herbe aux verrues avec peut-être aussi une activité antitumorale. Il s'élève contre les apothicaires dont les remèdes sont trop compliqués, plus de cinquante simples s'accumulant parfois contre une seule maladie. Il établit aussi des règles destinées à "tirer l'âme de la matière végétale", ancêtres des procédés d'extraction.



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Paracelse                              Chélidoine                              Van Helmont


           Paracelse fut un personnage dont les manières suscitèrent la polémique. Ses idées peu orthodoxes menaçaient le statut économique et social des savants et des médecins de l'époque. Toutefois ses succès thérapeutiques devaient lui permettre d'être un temps professeur à l'université de Bâle, position qu'il n'occupa pas longtemps car il donnait ses cours en dialecte alémanique et non en latin et, qu'un jour, il brûla en public le Canon d'Avicenne pour montrer son mépris de la médecine classique. Plus tard il s'intéressera aux affections des mineurs comme l'indique une de ses œuvres « De la maladie des montagnes et d'autres maladies semblables » , qui préfigure l'intérêt pour les maladies professionnelles. Sa proximité avec le milieu minier est certainement à l'origine de son utilisation de métaux comme agents thérapeutiques contrairement à la médecine classique qui faisait appel aux plantes. Ce Luther de la médecine visait comme Francis Bacon une réforme du savoir mais leurs points de vue divergeaient : quand Bacon considère que le travail des artisans n'est que la matière première du savant, Paracelse, lui, considère que c'est le mode idéal d'acquisition de la connaissance.

           Quant à Van Helmont, il clôt la période alchimique. Il simplifie la formule de certains remèdes tout en défendant certaines contre-vérités scientifiques comme la génération spontanée. A l'époque, Nicolas Houel, après avoir été apothicaire rue de la Truanderie, crée un établissement charitable pour former de jeunes orphelins à l'art de l'apothicaire ; celui-ci deviendra l'Ecole de Pharmacie de Paris (1580).

           Le pouvoir est toujours soucieux de la santé de ses populations, ainsi Henri IV envoie des médecins à la cour du sultan Ahmed al-Mansour pour se former au contact du médecin personnel du Sultan. Quant aux naturalistes de la Renaissance, ils commencent les premières classifications des simples et découvrent les drogues exotiques rapportées par les explorateurs. C'est l'époque des premiers herbiers et des Rondelet, Lobel ou Matthiole qui sont de véritables botanistes scientifiques.

➽ 11 - Le XVIIème siècle, siècle d'or de la pharmacie

           On considère que le XVIIème siècle fut une époque brillante pour la science du médicament. La corporation des pharmaciens admet maintenant la différence entre le pharmacien proprement dit, préparateur du médicament, et l'apothicaire vendeur de drogues. Plusieurs pharmacopées sont publiées, les plus connues sont celle de Moyse Charras, démonstrateur au jardin du Roi, "la pharmacopée royale et galénique" (1676) et la "pharmacopée universelle" de Nicolas Lémery (1697).



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Pharmacopée royale                    Nicolas Lémery                                  Louis XIV                  


           De nombreux remèdes scientifiques voient le jour : Beguin, apothicaire et chimiste, découvre ou redécouvre le calomel, un laxatif mercuriel (1608), Seignette, de la Rochelle, futur médecin de Monsieur frère du Roi puis de Philippe d'Orléans, découvre les sels purgatifs et Glauber le sulfate de soude, des sels minéraux dont les vertus laxatives sont bien connues tandis que Sydenham, "l'Hippocrate anglais" qui étudia un temps à Montpellier, attache son nom à la préparation d'une forme d'opium, le laudanum. Ce laudanum avait initialement été préparé par Paracelse : il s'agissait d'une solution alcoolique d'opium enrichie d'or... Il sera fait bon usage de l'opium par les médecins du XVIIème siècle mais ils abuseront du clystère et de la saignée.

           Le clystère ou lavement aurait été introduit après avoir observé une grue (un ibis selon Pline), probablement souffrant du ventre, prendre de l'eau de mer et la projeter sur son postérieur. Hippocrate, adepte du lavement, utilisait une vessie de porc emmanchée sur un tube creux de roseau ou de sureau. Au XVIème siècle on invente la seringue qui devient rapidement célèbre. Louis XIV subit, parait-il, plus de 2000 lavements au cours de sa vie.

           Bien que la matière médicale s'enrichisse et que les savants dont des pharmaciens, à la Royal Society de Londres ou à l'Académie des Sciences de Paris, pratiquent la recherche expérimentale, des thérapeutiques empiriques héritées du passé subsistent. On porte amulettes et talismans, les pierres ont des vertus : le rubis protège de la peste, l'émeraude de la fièvre tierce et accessoirement est la gardienne de la chasteté. L'or reste une valeur sûre, la poudre d'or, l'huile d'or et le poulet farci de pièces d'or peuvent être prescrits pour rendre la santé. Mais il ne s'agit pas toujours de rendre la santé, on souhaite parfois la mort : de 1672 à 1682, le règne de Louis XIV fut secoué par des affaires d'empoisonnements et de messes noires.

L'affaire des poisons et l'arsenic

           Dans ces affaires de poisons, La première incriminée, la marquise de Brinvilliers reconnait avoir empoisonné son père et ses deux frères. Les fioles saisies contiennent de l'arsenic et de la bave de crapaud. La marquise sera finalement exécutée ce que ne manque pas de nous raconter Madame de Sévigné dans une de ses lettres. Puis un certain La Chaussée, accusé de complicité avec la Marquise, est suspecté d'avoir voulu empoisonner le Roi tandis qu'une certaine Marie Bosse et sa complice, Catherine Deshayes, femme Monvoisin dite La Voisin, auraient fourni des poisons à des épouses de membres du parlement désirant se débarrasser de leurs trop encombrants maris. Enfin, le scandale s'enfle : des femmes de la cour et même Madame de Montespan sont suspectées. Cette dernière aurait empoisonné l'une de ses rivales et aurait fait appel à La Voisin pour obtenir des poudres destinées à lui ramener l'amour du Roi. Un tribunal spécial, la chambre ardente, condamna 36 accusés à mort et autant au bannissement..

           Mais l'arsenic n'est pas seulement un poison. Au XIXème siècle, il entrera dans la thérapeutique comme stimulant de la nutrition : c'est le médicament des maigres, des inappétents, des fatigués chroniques. On soigne avec les granules de Dioscoride et la liqueur de Fowler. Le Stovarsol (1921) sera un antiseptique intestinal arsénié issu du laboratoire de Fourneau, le chimiste pasteurien. Plus récemment (1970) des médecins chinois trouvent que le trioxyde d'arsenic permettait la survie de beaucoup de malades atteints d'une forme particulière de leucémie (30% de survie après 10 ans). En collaboration avec ses collègues chinois d'une université de Shangaï, Hugues de Thé et son équipe de l'hôpital Saint-Louis montrent en 1994 que l'arsenic détruit une protéine cancéreuse responsable de la maladie. Ces résultats importants sont publiés en 1997. Mais voilà qu'un des lecteurs de l'article (chercheur au Mémorial Sloan-Kettering cancer center de New-York) s'empare de ce résultat, dépose un brevet et crée une société, Genta, qui produit le trioxyde. Genta est racheté par Cell therapeutics pour 15 millions de dollars. Le brevet du produit est revendu à une autre société, Céphalon, pour 70 millions de dollars en 2005. Bien sûr le produit qui vaut trois fois rien est proposé aux malades pour la modique somme de 50 000 dollars (40 000 euros) la cure. Une bonne nouvelle toutefois dans ce mini-scandale pharmatico-financier : l'arsenic seul pourrait être presqu'aussi actif que le trioxyde et il n'est pas brevetable.

Les métaux

           Les alchimistes avaient attiré l'attention sur les métaux ; certains restent à l'ordre du jour comme le mercure pour soigner la syphilis. Entre les mains des médecins arabes les sels mercuriels avaient guéri des parasitoses. Ce traitement antiinfectieux par le mercure fut utilisé pendant plus de 400 ans. Initialement il avait été proposé par des charlatans ou des barbiers pour atténuer les symptômes cutanés de la syphilis. Paracelse et Jean de Vigo, un médecin génois, en auraient assuré la promotion. Le traitement s'appliquait en friction jusqu'à ce que les « dents commencent à s'agacer » , un premier signe de toxicité accompagné d'une intense salivation. On proposait aussi des fumigations de parfums mercuriels, le patient étant enfermé dans une enceinte en bois dont ne dépassait que la tête. Ces bonnes vapeurs de mercure pouvaient conduire « jusqu'à la chute des dents » . C'est ce dont parle Madame de Sévigné à propos de son fils. Dans plusieurs de ses lettres, elle raconte les frasques et la maladie de son fils Charles, baron de Sévigné, qui aurait contracté la maladie au contact d'une de ses conquêtes, la duchesse de Villeroy. Le traitement mercuriel persistera les siècles suivants puisque Schubert ou Maupassant n'y échappèrent pas.
           D'autres métaux ont moins de succès : comme le stibium qui faisait grossir les porcs. Un disciple de Paracelse l'avait prescrit à des moines amaigris par les jeûnes. Comme tous moururent, on écarta le stibium de la pharmacopée sous le nom "d'antimoine". Heureusement pour ce métal, il guérit le jeune Louis XIV. En juillet 1658, sous le Régence d'Anne d'Autriche, on annonce dans Paris que le jeune Louis serait mort d'une fièvre virulente (probablement une typhoïde) alors qu'il accompagnait l'armée de Turenne au siège de Bergues, une localité située à proximité de Dunkerque. La nouvelle fait le jeu des factieux (la Fronde est toute récente) qui envisagent une nouvelle régence pour son frère Philippe. Le jeune roi est soigné à Calais par du vin émétique à base de plantes et de limaille d'antimoine qui provoque de violents vomissements. Le roi se remet doucement mais il a perdu ses cheveux, calvitie qui l'incitera certainement à porter ses imposantes perruques. On parlera de maladie des dupes. Cet antimoine eut depuis une honorable carrière dans le traitement de maladies parasitaires.

Nouvelles drogues

           Enfin de nouvelles drogues, thé, cacao, café, quinquina et ipéca, rapportés des Indes et de l'Amérique entrent dans la thérapeutique. Les fèves de cacao rapportées par Cortès avaient été données à Charles-Quint en 1525. Elles permettent de confectionner un chocolat à boire introduit à la cour par la reine Anne d'Autriche. La mode du chocolat se répand sous Louis XIV et Marie-Thérèse d'Autriche prétendait n'aimer que deux choses, le Roi et le chocolat... Le café est introduit à la cour en 1669 et le thé un peu plus tard.
           Quant au quinquina c'est assurément une des drogues dont l'histoire est des plus célèbres. En 1683 l'écorce de quinquina guérit des fièvres des marais la Comtesse del Cinchon, épouse du vice-roi du Pérou. Les Jésuites assurent la diffusion de la "Poudre de la comtesse" ou « poudre des jésuites » et l'importent en Espagne. En France, les médecins officiels proscrivent l'utilisation de cette drogue qui avait été introduite par Talbot, un apothicaire de Cambridge. La guérison du Grand Dauphin par le précieux médicament d'une fièvre des marais (Versailles était alors très marécageux) amena Louis XIV à acheter la formule à Talbot, au grand désappointement de ses médecins.

➽ 12 - Le XVIIIème siècle : le grand virage

           Au XVIIIème siècle, en France, la pharmacie prend un virage scientifique certainement dû aux nombreux travaux menés dans les officines et dans les laboratoires du Jardin du Roi. C'est l'œuvre de savants comme Rouelle, apothicaire et chimiste, démonstrateur au jardin du Roi, ou Baumé, pharmacien, professeur au Collège de France et inventeur de l'aréomètre pour la mesure des densités. C'est l'époque où apparaissent dans la pharmacopée des remèdes utilisés depuis longtemps : l'eau de Mélisse des Carmes de 1611 avec 14 plantes médicinales et 9 épices, l'eau de la Reine de Hongrie, un mélange d'hydrolats et d'huiles essentielles qui conserve la beauté et l'élixir de Garus selon Paracelse, un mélange de myrrhe, de cannelle, de safran, d'aloès, de clous de girofle etc...



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G.F. Rouelle                     S. Hahnemann                    Variolisation


           A la fin du siècle on a établi les fondements de la chimie (Lavoisier, Fourcroy, médecin et chimiste, Vauquelin, pharmacien et chimiste) et découvert plusieurs métaux et métalloïdes: Vauquelin trouve le chrome (régulateur de la glycémie) et le béryllium (métal hautement toxique, utilisé en dentisterie). Un pharmacien et chimiste suédois, Scheele, découvre le chlore et l'oxygène, ce dernier indépendamment de Priestley (1773-1774). C'est aussi à cette époque que l'on réalise les premières vaccinations. Les apothicaires sont définitivement séparés des épiciers par une ordonnance de Louis XVI qui crée un Collège de Pharmacie (1777).

L'homéopathie

           C'est aussi à la fin du XVIIIème siècle qu'apparait une nouvelle médecine : L'homéopathie qui constitue un trait d'union entre la médecine hippocratique et la médecine contemporaine. Son créateur, Christian Hahnemann (1755-1843), originaire de la Saxe, devient médecin tout en assurant des traductions d'ouvrages anglais ou français. Il pratique d'abord la médecine qu'on lui a enseignée et se perfectionne dans la préparation des remèdes. Mais comme il suit avec attention les progrès scientifiques en chimie et en sciences naturelles, Hahnemann est de plus en plus convaincu de l'inanité des traitements de son époque. Il renonce à cette médecine là et vit de ses traductions. C'est au cours de la traduction de la matière médicale d'un auteur de langue anglaise qu'il est frappé par la description des propriétés du quinquina et décide d'observer sur lui-même les effets de cette drogue. Il constate alors que de fortes doses de quinquina provoquent un état fébrile intermittent identique aux fièvres qui sont habituellement guéries par ce même quinquina. Il vérifie alors l'antique loi de similitude, le traitement des semblables par les semblables. L'homéopathie était créée qui respecte les idées d'Hippocrate : d'abord ne pas nuire (primum non nocere) et individualiser les remèdes. On est en 1796. En 1810 Hahnemann publie « l'organon de la médecine rationnelle » qui s'intitulera ensuite, en 1816, « L'organon de l'art de guérir » . Les remèdes homéopathiques seront l'objet d'âpres discussions et l'homéopathie subira de nombreuses attaques, elle est déjà condamnée par l'Académie de Médecine en 1835. Néanmoins la méthode se répandra en Allemagne, en Suisse, en Italie, en France et dans les pays anglo-saxons. De nos jours, le médicament homéopathique conserve la confiance de nombreux patients.

➽ 13 - Le XIXème siècle, le grand siècle de la médecine et de la pharmacie

           Le XIXème siècle est le grand siècle de la médecine et de la pharmacie. Les travaux des scientifiques des siècles précédents ont définitivement codifié la méthode scientifique et débarrassé la liste des remèdes des produits et pratiques ésotériques. La botanique permet une détermination précise des espèces de plantes et les méthodes d'extraction des chimistes vont permettre de rechercher les principes actifs de ces végétaux. On isole des alcaloïdes et d'abord la morphine extraite de l'opium (1805) par Friedrich Sertürner (1783-1841) qui est un précurseur dans l'isolement des alcaloïdes.

Histoire de l'opium

           L'opium est historiquement originaire de Turquie. L'incision des capsules encore vertes du pavot blanc (Papaver somni ferum album) , un pavot voisin de celui qui donne l'huile d'œillette, fournit un suc laiteux qui se solidifie en séchant en pain d'opium. L'opium, le prototype des analgésiques centraux, était depuis longtemps utilisé comme médicament mais aussi comme drogue malheureusement addictive, ce que raconte Thomas de Quincey dans ses "Confessions d'un mangeur d'opium anglais" (1822), une œuvre qui inspirera Baudelaire pour son texte "Les paradis artificiels". Pour certains, le quatrième mouvement de la symphonie fantastique (1830) de Berlioz, la marche au supplice, aurait été inspiré par le poème de Quincey : il décrit le protagoniste tentant de se suicider à l'opium ; il est assailli de cauchemars, il croit qu'il a tué sa bien-aimée et qu'on le conduit à l'échafaud. D'ailleurs ce délire opiacé se poursuit dans le cinquième mouvement où il assiste au sabbat pour ses propres funérailles aux accents parodiques du Dies irae.

           L'opium médicament était proposé en cachet, en teinture (laudanum), en élixir parégorique, tous antidiarrhéiques. Les effets toxiques de l'opium varient selon les espèces, le chat devient furieux, le lapin s'endort comme l'homme. Du sommeil transitoire au sommeil éternel il n'y a qu'un pas.. parfois vite franchi dans certains services de soins palliatifs.



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Pavot                                                            Guerre de l'opium                    


           Au XIXème siècle, les anglais écoulaient de l'opium de l'Inde vers la Chine. Ces importations, plus d'un millier de tonnes vers 1838, entraînent progressivement la narcodépendance de millions de chinois. La dynastie quing cherche à réagir. Un commissaire d'une des provinces (Lin Zexu) décide de prendre des mesures destinées à combattre ces importations. Il fait arrêter des revendeurs et détruire des stocks d'opium. Les britanniques organisent alors la contrebande de l'opium. Dans une lettre à la reine Victoria, Lin fait savoir que tout opium saisi sera détruit par l'huile bouillante, lettre bien sûr sans réponse. Après divers incidents, les anglais envoient deux corps expéditionnaires et exigent le remboursement de l'opium détruit. Afin de limiter la conquête anglaise, l'Empereur cède Hong-Kong aux anglais et ouvrent des ports (Ningbô, Canton, Shanghai) aux européens par le traité de Nankin (1842). Mais les Etats-Unis et la France veulent aussi une part du gâteau : on envoie des canonnières et autres bâtiments de guerre tout en signant des traités d'amitié éternelle avec la Chine. L'Autriche-Hongrie, l'Allemagne, l'Italie, le Japon se joignent au dépeçage de l'Empire du milieu.

           L'affaire ne s'arrête pas là : en 1856 Le gouvernement mandchou saisit une cargaison d'opium transportée par un vaisseau de Hong-Kong soupçonné de trafic illégal : les marins sont arrêtés. Cet incident et une affaire de pain empoisonné livré aux anglais de Hong-Kong provoquent une intervention de frégates anglaises et françaises qui ouvrent le feu sur Canton. La Chine est invitée à signer un nouveau traité qui ouvrirait de nouveaux ports ainsi que le Yang-Tsé au commerce international et accorderait des légations (anglaise, française, américaine et Russe) à Pékin. Devant ces demandes abusives, l'Empereur refuse de ratifier le traité. Un corps expéditionnaire franco-britannique débarque, remporte la victoire de Pali-kao, envahit Pékin, pille la ville et brûle le palais d'été (1860). Dans cette affaire d'opium, les nations occidentales se sont comportées comme de véritables dealers bien aidés en cela par la sulfureuse banque HSBC qui contraindra la Chine à accepter le commerce de l'opium. Cet épisode de la guerre de l'opium contribuera à la chute de l'empire quing en 1911.

           De l'opium on a également isolé la codéine qui est moins toxique que la morphine, elle fut longtemps utilisée comme calmant de la toux. La codéine est convertie en morphine dans l'organisme. Curieusement certaines populations du Caucase sont incapables de faire cette conversion, pour elles la codéine est donc peu efficace. En revanche, 25% des éthiopiens font rapidement la conversion. Pour eux, la codéine est un toxique.

La quinine

           Mais ce qui inaugure véritablement l'ère de la pharmacologie moderne c'est en 1820 l'isolement de la quinine à partir de l'écorce de quinquina par Pelletier et Caventou. Pierre joseph Pelletier (1788-1842) est un pharmacien, fils de pharmacien et petit-fils d'apothicaire. Pendant une riche carrière de professeur à l'école de pharmacie, il garda l'officine héritée de son père, rue Jacob. Joseph Bienaimé Caventou (1795-1877) est pharmacien à l'hôpital Saint-Antoine où il effectue ses recherches. Il sera professeur de toxicologie.

           Le quinquina est une des drogues dont l'histoire est des plus célèbres, il désigne des écorces provenant de divers Cinchona de la Cordillière des Andes. Le quinquina fut employé sous forme de teintures, de vin, d'extraits aqueux ou alcoolique. La production naturelle (Equateur, Bolivie.) devenant insuffisante on introduisit les cinchonas dans divers pays chauds, Inde, Ceylan, Java, d'abord (quinquina jaune, C.calisaya.), puis ensuite en Afrique, Zaïre, Guinée, Madagascar. De la fin du XIXème siècle jusqu'à la seconde guerre mondiale les Pays-Bas ont eu le monopole de la production du quinquina. Pendant cette guerre, les Pays-Bas étant occupés par les troupes allemandes, la fourniture de quinquina chuta. Des troupes luttant dans des régions où sévissait le paludisme manquaient de quinine. Ce fut le cas des troupes américaines en opération contre les japonais dans le Pacifique. La mortalité due au paludisme fut importante.

           En fait les quinquinas contiennent plus de 20 alcaloïdes différents de formules assez voisines. La quinine est antipyrétique du fait d'une action dépressive sur le centre de la thermogenèse et c'est un poison qui détruit les protozoaires, en particulier l'agent du paludisme (Plasmodium, hématozoaire) dans sa forme localisée dans les globules rouges. Un composé très voisin de la quinine, la quinidine, obtenue actuellement par hémisynthèse, est un sédatif cardiaque, anti-tachycardique . Une petite différence de formule chimique entre quinine et quinidine provoque un notable changement des propriétés pharmacologiques.

           Comme on ne pouvait traiter tous les paludéens par la quinine, trop rare et trop chère, on rechercha des produits synthétiques efficaces comme la quinacrine, la rhodoquine, la Nivaquine ou chloroquine (synthétisée en 1937), malheureusement plus sujets à résistance de la part du parasite que la quinine elle-même.

L'artémisinine

           Remarquons au passage les succès obtenus sur le paludisme par l'absinthe chinoise (Absintha annua) dont on extrait l'artémisinine, découverte ayant donné le prix Nobel(2015) à la chinoise Tu Youyou. L'artémisinine est un antipaludique puissant malheureusement rapidement éliminé par l'organisme si bien qu'il faut l'associer à un antipaludique d'action plus durable. Cela parait exclure la possibilité d'obtenir une parfaite efficacité avec des tisanes préparées à partir de la plante ; si elles peuvent faire disparaitre les symptômes, elles ne détruiraient pas totalement le parasite facilitant ainsi l'émergence de résistances. La sympathique Juliette Binoche, à l'occasion d'une rencontre avec le pape François, organisée par des chercheurs en biodiversité en septembre 2020, a offert de l'armoise au souverain pontife en lui demandant de favoriser la culture de cette plante dans les pays pauvres afin d'y combattre le paludisme. La démarche était généreuse mais peut-être inadaptée puisqu'il est possible que les tisanes ne détruisent pas le parasite et favorisent l'apparition de formes résistantes. Un article récent de l'Institut Pasteur indique d'ailleurs que des formes résistantes à l'artémisinine sont déjà observées. La recherche médicamenteuse destinée à combattre les infections a encore de beaux jours devant elle tant est grande chez les parasites la capacité de développer une résistance aux drogues.

Cocaïne et autres drogues

           Parmi les autres alcaloïdes, extraits au XIXème siècle, on peut citer la cocaïne des feuilles de coca. Les feuilles de coca renferment de nombreux alcaloïdes le plus important étant la cocaïne. Des modifications de la formule chimique permettent de créer des variétés de cocaïnes. La cocaïne est un poison ayant une action d'abord excitante puis paralysante sur le système nerveux central et le cerveau. La forme la plus utilisée en thérapeutique est le chlorhydrate de cocaïne. Sa consommation régulière comme drogue récréative sous forme de crack et de free base (dilution dans l'eau avec bicarbonate ou ammoniaque) provoque une excitation psychique initiale, avec impression d'énergie et de plaisir intenses, augmentation de la libido et diminution de la douleur. Ces effets relativement brefs font place à une phase d'abattement durable avec hallucinations et confusion mentale pouvant conduire à une prise en charge psychiatrique. L'état de besoin s'installe rapidement provoquant une addiction difficilement curable ainsi que des effets secondaires respiratoires, cardiaques et neurologiques. On a trouvé, il y a peu, que des mutations sont impliquées dans l'addiction à la cocaïne. L'étude des gènes codant pour des récepteurs nicotiniques activés dans le cerveau par la cocaïne a montré qu'une certaine mutation protège contre le risque d'addiction. 37% des européens et 43% des populations du Moyen-Orient portent cette mutation bénéfique. En revanche une autre mutation est associée à une rechute rapide après sevrage. L'addiction à la cocaïne est considérée actuellement comme une maladie chronique dépourvue de traitement efficace bien qu'on propose des protocoles de soin comportant N-acétylcystéine et anxiolytiques.

           On citera également une substance différente des alcaloïdes. Il s'agit de la digitaline extraite et cristallisée par Claude Adolphe Nativelle (1868). C'est un hétéroside de la digitale, pourpre ou laineuse, qui entre dans la catégorie des plantes médicinales alors qu'elle était seulement connue de certains guérisseurs comme remède contre l'hydropisie. La digitale ralentit le cœur, le renforce et le régularise. Le vin de l'Hôtel-Dieu ou vin de Trousseau ainsi que les pilules de Lanceraux étaient des formules contenant ce cardiotonique. L'aubépine est un succédané mineur de la digitale. La digitale comme le strophantus sont des cardiotoniques majeurs. Les semences de divers strophantus permettaient aux indigènes gabonais d'empoisonner leurs flèches de bambou. Le facteur actif est la strophantine qui n'est plus utilisée maintenant.



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Digitale pourpre                     Strychnos (noix vomique)                    Claude Bernard


La pharmacologie physiologique

           Au XIXème siècle on ne se contente pas d'avoir isolé le principe actif de la plante mais on étudie également la manière dont il agit sur la matière vivante, c'est l'œuvre de la pharmacodynamie physiologique dans laquelle brille Magendie (1782-1855) qui étudie l'action de la strychnine et publie un "Formulaire du médicament" (1822) avant d'occuper la chaire physiologie au Collège de France. Claude-Bernard (1813-1878) lui succédera dans cette chaire. Il est connu pour ses travaux sur la fonction glycogénique du foie, son analyse sur les effets du curare et son "Introduction à la médecine expérimentale" publiée en 1865. Le curare, ou mieux les curares, sont rapportés par La Condamine en 1745. Il s'agissait de préparations sirupeuses complexes à base de lianes tropicales (des genres Strychnos et Chondrodendron) qui enduisaient les flèches des indigènes du haut Orénoque. Claude Bernard montre que le curare bloque la transmission de l'influx nerveux mais contrairement à ce qu'il pensait, le nerf afférent et le muscle restent intacts. En effet, comme le précisa Vulpian, c'est l'influx qui ne passe pas de l'un à l'autre parce que le toxique agit au niveau de la plaque motrice qui venait d'être découverte par les histologistes Kühne et Rouget. Finalement, en 1897, Boehm isole deux alcaloïdes du curare : la curarine et la tubocurarine dont la structure chimique ne sera élucidée qu'en 1935. Les curares avec d'autres curarisants de synthèse sont utilisés pour abaisser le tonus musculaire (myorésolutifs) et favoriser l'acte chirurgical. En 1946, dans le laboratoire de Fourneau, Daniel Bovet fabrique le premier curarisant de synthèse, le Flaxedil .

           A ces composés naturels s'adjoignent, au XIXème siècle, des composés de synthèse chimique dont certains vont jouer un rôle important dans l'anesthésie ou l'antisepsie.

Les anesthésiques

           Les recherches pour atténuer la douleur, en particulier lors de l'accouchement, sont bien anciennes, elles furent souvent combattues par l'église pour laquelle l'enfantement devait se dérouler dans la douleur (Pourtant Dieu endormit Adam pour extraire Eve de sa côte !)

           L'éther, du nom d'un dieu grec, fils des ténèbres et de la nuit, peut-être préparé la première fois par Raymond Lulle vers 1275, est synthétisé en 1540 sous le nom d' "huile douce de vitriol" parce qu'il était obtenu par distillation d'alcool en milieu sulfurique (vitriol). On lui donne ensuite le nom d'éther sulfurique. Paracelse découvre ses propriétés analgésiques. C'est Long à l'Université de Pennsylvanie (1842) qui, l'un des premiers, utilise l'éther pour pratiquer des opérations chirurgicales. Il procède à l'ablation d'un kyste du cou chez un patient. Un de ses confrères, Morton, à Boston (1846), s'inspire de ces observations et dépose un brevet pour un « nouveau produit » anesthésiant, le Léthéon, simple mélange d'éther et d'huiles aromatiques.

           Un autre anesthésiant, le chloroforme, est préparé de manière indépendante par Justus von Liebig et Eugène Soubeiran vers 1830. Un obstétricien d'Edimbourg, James Young Simpson, l'utilise en remplacement de l'éther car il est mieux supporté par les patientes. Il facilitera les accouchements dont de celui de la reine Victoria lorsqu'elle donne naissance à Léopold d'Albany (1853). Il permet de nombreuses opérations pendant la guerre de sécession.

           Un troisième anesthésique a vu le jour en 1772, le protoxyde d'azote. Il est découvert par un pasteur et théologien, Priestley, dont la physique et la chimie étaient les violons d'Ingres. On montre rapidement les propriétés hilarantes de ce gaz, malheureusement encore recherchées actuellement par beaucoup. Ce gaz des siphons de crème chantilly est très dangereux : utilisé pur, il peut entraîner divers troubles et une détresse respiratoire, voire la mort. En 1844, un dentiste américain (Horace Wells) découvre ses propriétés anesthésiantes. Probablement à la suite d'une erreur de dosage, une démonstration publique organisée par Wells pour montrer l'efficacité de ce gaz tourne mal. L'arracheur de dents est hué par l'assistance. Le malheureux ne se remit jamais de cet échec et se suicida en 1848. Ce gaz sera largement utilisé aux Etats- Unis et la procédure d'anesthésie exportée en Europe. A partir de 1960, associé à l'oxygène, il permet les anesthésies générales mais d'autres anesthésiques sont également utilisés.



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Joseph Priestley                                       Protoxyde d'azote.hilarant          


           Il existe aussi des anesthésiques apportés par voie intra-veineuse qui provoquent un sommeil profond comme les barbituriques. Le premier barbiturique fut le barbital ou Véronal synthétisé en 1903 par un chimiste allemand, organicien prolifique, Hermann Emil Fischer (1852-1919), prix Nobel de Chimie 1902.

           Mais il existe aussi des anesthésiques locaux. On utilisa d'abord la cocaïne à partir de 1880 puis les chimistes, au début du XXème, fabriquèrent des molécules analogues. C'est ainsi que Paul Ehrlich proposa l'orthocaïne et Ernest Fourneau, alors directeur des recherches chez les frères Poulenc à Ivry, la Stovaïne (1904). L'histoire des anesthésiques locaux s'achève par la fabrication par des chimistes suédois de produits encore commercialisés aujourd'hui comme la lidocaïne (Xylocaïne ).

Les antiseptiques

           Le XIXème siècle est aussi l'ère de l'antisepsie, en particulier à la suite des travaux de Pasteur. Pourtant des antiseptiques étaient déjà connus depuis fort longtemps : ainsi l'alcool était connu dès le néolithique et obtenu par fermentation de fruits, peut-être la figue ou le kumquat. En Mésopotamie on fabriquait déjà de la bière 4000 ans av JC. Le vin est consommé en Grèce et en Egypte. On connaissait aussi les propriétés bénéfiques des jus alcooliques dans lesquels on pouvait dissoudre des mélanges d'herbes et de résines médicinales et obtenir ainsi des remèdes que l'on pouvait boire ou appliquer sur la peau. Le titre en alcool de ces jus alcooliques, des premiers vins et des bières, devait être inférieur à 5% ce qui évitait vraisemblablement les accidents du surdosage alcoolique. Les propriétés de l'alcool comme antiseptique n'ont probablement été observées qu'à partir du moment où on a introduit la distillation qui permet d'obtenir un titre élevé en alcool. L'alcool utilisé pour la désinfection est l'alcool à 70% : c'est donc un mélange eau-alcool. Il est moins agressif pour la peau, il brûle moins et dénature néanmoins les protéines.

           Le phénol est également connu depuis longtemps comme antiseptique, il est isolé à l'état impur par Glauber à partir du goudron de houille en 1650. Cette "huile rouge" avait la réputation d'assécher les ulcères. Au XIXème siècle des médecins et des pharmaciens montrent l'intérêt du phénol dans les interventions chirurgicales mais c'est un chirurgien anglais, Joseph Lister (1827-1912), qui popularise son utilisation qui réduisait beaucoup la mortalité opératoire. Il rendra hommage à Pasteur en étant présent lors du jubilée de celui-ci à la Sorbonne, en 1892.

           Parmi les autres antiseptiques, il faut noter l'hypochlorite de sodium dont il sera fait grand usage pendant la guerre de 1914 sous la forme de liquide de Dakin pour désinfecter les plaies avant de les suturer. Ce Dakin associe l'hypochlorite au permanganate selon une formule mis au point par Alexis Carrel, le chirurgien auteur de l'homme cet inconnu, et Henry Drysdale Dakin. Depuis de nouveaux antiseptiques ont vu le jour comme des agents détergents ou des dérivés iodés successeurs de la teinture d'iode (povidone iodée, Bétadïne) .

           A cette époque, on découvre encore de nouveaux éléments chimiques qui trouveront leur place dans la pharmacopée : Bussy, polytechnicien, chimiste et pharmacien découvre le magnésium dont le chlorure a de remarquables propriétés cytophylactiques et Balard, un pharmacien également, découvre le brome qui sera à l'origine des bromures si utilisés en psychiatrie.

➽ 14 - Les extraits animaux et L'opothérapie

           On ne peut parler des remèdes du XIXème siècle sans évoquer l'opothérapie illustrée par le successeur de Claude-Bernard au collège de France, Charles-Edouard Brown-Séquard (1817-1894). L'opothérapie c'est la branche de la thérapeutique qui fait appel à des extraits d'animaux. La méthode remonte dans la nuit des temps quand on attribuait aux produits animaux d'admirables vertus : le liniment de chien-nouveau-né, de taupe et de ver de terre guérissent la névralgie, l'ongle d'élan guérit de l'épilepsie, le foie d'hirondelle préserve de l'adultère et le lait de femme assure la repousse des cheveux. A vos tétées, les messieurs-chauves.. La médecine traditionnelle chinoise nous offre encore de telles balivernes.

           Pourtant il existe une opothérapie scientifique en particulier destinée à compenser des carences hormonales qui a été particulièrement développée par Brown-Séquard. Celui-ci restera longtemps de nationalité anglaise : il est né à l'ile Maurice d'un père anglais et d'une mère française. Il fait de multiples voyages et enseigne un temps à Harvard puis finalement revient en France pour y être naturalisé et occuper une chaire au Collège de France, succédant à Claude-Bernard. C'est avant tout un expérimentateur quelque peu inquiétant : il veut redonner vie à des têtes coupées de condamnés à mort ou greffer une deuxième tête à un chien, il étudie sur lui-même les effets des excréments de patients lors d'une épidémie de choléra.

           Avancé en âge, il décrit les effets rajeunissants qu'il observe sur lui-même à la suite d'une injection d'un extrait de testicule de chien ou de cochon d'inde. Son procédé, qu'il expose à ses collègues médecins, consiste à laisser macérer les testicules dans un bain de glycérine pendant 3 jours puis à les broyer. Le broyat mélangé à de l'eau distillée est filtré sur un filtre particulier et le filtrat est réparti en ampoules scellées. Devant l'Académie des sciences médusée qui l'avait élu 3 ans plus tôt, il expose en juin 1889 les résultats d'injections qu'il a pratiquées sur lui-même : sa force musculaire mesurée au dynamomètre a augmenté, sa constipation a disparu et son jet d'urine a gagné en distance. Il commercialise ces extraits censés prolonger la vie sous le nom de "Séquardine" . Sur ce plan Brown-Séquard n'est pas un pionnier car Albert le Grand conseillait déjà le testicule de porc pour soigner l'impuissance et la matrice de lièvre pour favoriser la grossesse...

           Un adepte de Brown-Séquard, Serge Voronoff (1866-1951) est un chirurgien qui avait appris la technique des greffes d'organes auprès d'Alexis Carrel. Il se fait un nom dans les années 20 en greffant des testicules de singe sur de riches receveurs ; vers 1930 peut-être 500 hommes ont ainsi été greffés. Il devient très riche et mène grande vie avec chauffeur, valet, secrétaire et deux maitresses.. Ce sont les années folles, la mode est au singe, même les femmes portent des manteaux en peau de singe si bien qu'un pauvre singe s'épanche : « Le monde désormais vivra de mes dépouilles, la femme avec ma peau et l'homme. ah les fripouilles » . Voronoff tentera aussi de greffer des ovaires de guenon sur des femmes et même la transplantation inverse, ovaire de femme sur une guenon. Un auteur de l'époque (Félicien Champsaur) en publia un livre : "Nora, la guenon devenue femme", un roman érotique pour hall de gare.

Hormonothérapie

           Pourtant tout n'était pas sans intérêt dans les balbutiements de l'endocrinologie naissante. On rappellera en effet que l'insuline, isolée en 1921 à Toronto par les canadiens Frédéric Banting et Charles Best, était initialement extraite de pancréas de porc. En fait l'insuline extraite par Banting et Best était impure, sa purification fut ensuite obtenue par un biochimiste Collip; elle devint alors utilisable en thérapeutique. Le premier diabétique traité à l'hôpital de Toronto fut un enfant qui échappa ainsi à une issue fatale. Banting sera prix Nobel de médecine en 1923 avec son patron, Macleod, un spécialiste des sucres, professeur à Toronto. Best n'aura pas cet honneur. Ainsi va la vie. Mais les deux Nobel, épris de justice, partageront leurs prix avec Best et Collip.



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           On sait également que le nanisme hypophysaire ainsi que diverses maladies génétiques (syndrome de Turner, syndrome de Prader-Willi) étaient encore traités il y a peu (jusqu'en 1987, date de l'introduction de l'hormone synthétique) par des extraits d'hypophyses prélevées sur des cadavres humains. On a déploré la contamination de certains de ces extraits par le prion qui provoqua chez certains patients la maladie de Creutzfeld-jacob, une sorte de maladie de la vache folle qui atteint l'homme. Depuis ces hormones sont obtenues à partir de cultures d'organismes, bactéries, levures ou cellules animales, transformés par génie génétique.



Etude035-36           Etude035-37           Etude035-38 Escherichia coli (bactérie)                     Pichia pastoris (levure)                     Cellules d'ovaire de hamster


➽ 15 - les vaccins et les sérums

           Au XIXème siècle, la bactériologie fait de grands progrès en particulier avec Pasteur et Koch, la porte est ouverte aux vaccinations. Contrairement à ce que pensent certains, Pasteur n'est pas l'inventeur de la vaccination. En effet le principe de la vaccination contre la variole était connu depuis très longtemps. En Inde, puis en Chine on introduisait des excoriations de pustules de varioleux dans le nez. En Arabie, selon Voltaire dans son dictionnaire philosophique, les femmes géorgiennes et circassiènnes, fort appréciées dans les harems des sultans ottomans, étaient inoculées dans une partie cachée de leur corps avant d'être vendues. Cette pratique, migrant par le Caucase, s'était répandue en Turquie au XVIème et XVIIème siècles, de là, la variolisation fut introduite en Europe par Lady Wortley Montagu, femme de l'ambassadeur anglais en Turquie qui avait fait inoculer son fils de 6 ans à Istambul. En Amérique, la pratique était connue des esclaves noirs.

           En France, lorsque Louis XV mourut en quelques jours de la variole en 1774 à 64 ans, cette mort tragique eut pour conséquence de convaincre la cour de se faire varioliser. La variolisation eut lieu à Marly et en particulier on inocula le Roi Louis XVI, le comte de Provence (futur Louis XVIII) et le comte d'Artois (futur Charles X). Vers la fin du XVIIIème siècle, Jenner (1749-1823) rendit la variolisation moins dangereuse en scarifiant des croûtes provenant de pustules dues à la vaccine, une sorte de variole atténuée de la vache (picote ou cow-pox). Ayant ainsi immunisé un enfant, il lui scarifia ensuite des croûtes d'un individu mort de la variole afin de vérifier l'efficacité de son traitement, une expérimentation qui serait maintenant sévèrement condamnée. Pasteur rendit hommage à Jenner en baptisant ce genre d'immunisation vaccination.

           Dans la deuxième moitié du XIXème siècle, Pasteur, Roux et les pastoriens mettront au point plusieurs vaccins. Pendant longtemps la préparation des premiers vaccins resta artisanale. L'un des vaccins les plus célèbres, celui contre la rage, fit beaucoup pour populariser la pratique vaccinale, pourtant c'était un faux vaccin puisqu'on l'injectait chez le malade et non en prévention de la maladie. A cette époque on venait de Russie ou d'Amérique pour se faire vacciner au laboratoire Pasteur, rue d'Ulm.



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Préparation artisanale des vaccins


           C'est aussi à la fin du XIXème que Von Behring et Kitasato découvrent la sérothérapie, les premiers succès sont obtenus contre la diphtérie. Avec le temps de nouveaux vaccins sont apparus pour prévenir de nombreuses maladies et leur préparation devint industrielle. L'éradication presque totale de la poliomyélite est un des beaux succès de la politique vaccinale.

➽ 16 - Le XXème siècle : la victoire momentanée sur les maladies infectieuses

La découverte des sulfamides

           A la fin du XIXème siècle on avait observé que des colorants chimiques bloquaient la croissance de microorganismes. En Allemagne, dans la ligne des recherches de Paul Ehrlich, Domagk travaille sur les colorants antibactériens fabriqués par l'IG Farben. Il découvre l'activité de l'un d'eux qu'il nomme Prontosil. Le produit est actif chez l'animal contre les streptocoques mais il ne les détruit pas lorsqu'ils sont en culture. Il utilise ce produit pour sauver sa fille Hildegarde d'une amputation du bras. Le prix Nobel de physiologie et médecine lui sera attribué en 1939 mais le régime nazi lui impose de le refuser. Le prix lui est finalement attribué en 1947. Parmi les autres découvertes de Domagk signalons l'isoniazide (Rimifon), un antituberculeux utilisé dans les années 1950 qui a sauvé de nombreux malades.

           Toutefois la découverte de l'activité des sulfamides (1935) est due sans conteste à la contribution importante des chimistes pastoriens, les Tréfouel, Federico Nitti et Daniel Bovet. Ces auteurs ont en effet montré que le prontosil expérimenté par Domagk était efficace parce qu'il se scindait dans l'organisme et libérait une molécule qui était la partie active du produit. Cette molécule était déjà connue, elle avait été synthétisée par un chimiste autrichien, Paul Gelmo. Elle existait aussi depuis longtemps dans les placards de l'Institut Pasteur car elle y avait été fabriquée par un pharmacien, Ernest Fourneau, sous le nom de 1162F.

           Ernest François Fourneau (1872-1949) est un pharmacien, chimiste et pharmacologue né à Bayonne. D'un séjour auprès des chimistes allemands il retient l'idée de l'importance de la chimie appliquée à la médecine et persuade les frères Poulenc de créer un laboratoire de chimie pharmaceutique (fondé à Ivry). C'est là que Fourneau synthétise en 1903 l'amylocaïne (Stovaïne), un anesthésique local. En 1911 il intègre l'Institut Pasteur à la demande de Roux alors directeur. Avec Levaditi, Navarro-Martin et les Tréfouel il met au point le Stovarsol, un arsénié actif contre le tréponème agent de la syphilis, le 290 F, contre la maladie du sommeil, et la chloroquine (Nivaquine) , un antipaludique. Du laboratoire Fourneau sortiront aussi des antilépreux (sulfones), des antihistaminiques et bien d'autres médicaments de synthèse. Mais ce qui est très important c'est que les travaux du laboratoire de Fourneau ont établi et codifié les relations entre constitution chimique et activité thérapeutique pour de nombreuses molécules.



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Gerhard Domagk                               Hôpital Pasteur                               Ernest Fourneau


           Les sulfamides ne rapportèrent rien à la société Bayer puisque la molécule connue depuis longtemps n'était plus sous brevet d'autant que la mise sur le marché peina, semble-t-il, à convaincre les médecins. La guérison par le prontosil du fils du Président Roosevelt d'une infection des sinus ayant entraînée un vilain abcès à la joue et des dégâts au niveau de la gorge participa beaucoup à la notoriété du médicament. En effet en 1936, à la veille de Thanksgiving, le jeune Franklin Delano Roosevelt junior, âgé de 22 ans, est hospitalisé à l'hôpital général du Massachussetts pour une infection ORL grave à streptocoques mettant en jeu le pronostic vital. Le docteur Tobey, un ORL réputé, propose à Madame Roosevelt d'essayer le prontosil ; le sulfamide sauve le jeune patient. Le New York Time fait la relation de cette heureuse guérison, ce qui a fait avantageusement connaitre les sulfamides aux Etats-Unis. La notoriété des sulfamides fut pourtant entachée par la mise sur le marché américain d'un sirop sulfamidique qui provoqua la mort de six patients dans l'Oklaoma. Le sulfamide n'était pas en cause mais un additif, le diéthylène glycol, un excellent antigel qu'utilisent les garagistes mais qui est extrêmement toxique pour le rein humain. Ce sulfamide, libre de droits, n'en fut pas moins le premier générique de l'histoire.

           De nombreux sulfamidés seront élaborés par les époux Tréfouel et dans divers autres laboratoires. L'action thérapeutique sur l'homme de plusieurs de ces sulfamides a été étudiée par les médecins de l'hôpital Pasteur, en faisant ainsi des pionniers de la sulfamidothérapie. Parmi les sulfamidés célèbres on peut citer le Rufol, le Ganidan ou le Bactrim, association d'un sulfamidé et d'une molécule antiinfectieuse, si utilisé pour traiter les infections de l'arbre urinaire mais aussi comme antiparasitaire (Pneumocystis, Toxoplasma) . D'une manière générale ces sulfamides sont des bactériostatiques, c'est-à-dire qu'ils empêchent les bactéries de croître mais ils ne les tuent pas.

L'antibiose et les antibiotiques

           Le phénomène d'antagonisme entre organismes, champignons et microbes par exemple, est connu depuis très longtemps. En 1898, un médecin militaire, Jean-Antoine Villemin, qui découvrit que la tuberculose est transmissible, le nomma antibiose dont dérive le nom d'antibiotique. D'autres auteurs avaient également observé ces antagonismes : Pasteur et Joubert notent l'interaction entre le bacille du charbon et d'autres bactéries. Ernest Duchesne, un élève de l'école de santé de Lyon, décrit dans sa thèse (1897) l'antagonisme entre moisissures et microbes. Précurseur, il montre que l'injection simultanée d'un bouillon de cuture d'un pénicillium et d'une souche virulente de l'agent de la typhoïde protège le cobaye de l'infection. Mais tous ces travaux furent vite oubliés et pour beaucoup, le découvreur de l'antibiose est Alexander Fleming (1881-1955), père de la pénicilline.

           Fleming, après ses études de médecine, exerce dans le cadre du laboratoire d'un remarquable microbiologiste, Almroth Edward Wright au Saint Mary's Hospital, le plus moderne des hôpitaux de Londres, fondé en 1845. Chirurgien de formation, il est confronté aux infections des plaies au cours de la première guerre mondiale. En 1922, il exerce comme bactériologiste et découvre le lysozyme, un enzyme bactéricide présent dans la plupart des tissus et dans les larmes puis devient un spécialiste reconnu des staphylocoques. C'est en 1928 qu'il découvre fortuitement la pénicilline. Un peu négligent, il avait abandonné des boites de Pétri ensemencées avec du staphylocoque avant de partir en vacances. Au retour, avant de les jeter dans un bain antiseptique, il observe dans l'une d'elles une colonie de moisissure autour de laquelle les bactéries avaient disparu. Cette boite historique, fixée aux vapeurs de formol après que Fleming eut prélevé un peu du champignon, est conservée au British Museum. A partir de ce prélèvement mis en culture, Fleming obtint des extraits efficaces sur des bactéries variées, streptocoques, staphylocoques, gonocoques. En revanche, ils n'affectaient pas les salmonelles et les coliformes. Il observa aussi que ces extraits n'étaient pas toxiques pour les animaux de laboratoire. Comme la moisissure était un pénicillium, il nomma l'extrait Pénicilline.

           Bien que Fleming ait publié ses résultats, la découverte n'eut pas un retentissement important, d'autant que le principe actif de ces extraits n'avait pas été isolé. Il faudra attendre 1940 pour que des chercheurs d'Oxford, Florey, Chain et Heatley obtiennent la pénicilline stable et concentrée mais en très petite quantité. L'industrie pharmaceutique n'étant pas intéressée, Florey transforma ses locaux en laboratoire de production. On commença un essai clinique sur deux patients, mais la fourniture en pénicilline étant insuffisante on dut extraire celle-ci de l'urine de l'un des deux patients pour traiter l'autre. Ce n'est qu'à partir de 1943 que la société Glaxo et Wellcome fabriqua en quantité une pénicilline purifiée. En reconnaissance de ces efforts, Fleming, Florey et Chain reçurent le prix Nobel de médecine et physiologie en 1945.

           Pendant la période de confinement, on échangea beaucoup de petites vidéos. Une, particulièrement agréable à regarder, racontait un épisode de la vie de Fleming. Le jeune Fleming vit en Ecosse, près de Darvel dans l'East Ayshire, un pays de landes et de tourbières. Un jour son fermier de père entend crier au secours dans la lande : un jeune s'est embourbé dans une tourbière. Le père sauve l'enfant. Le lendemain un attelage cossu s'arrête devant la ferme : le père du rescapé veut récompenser le fermier sauveteur mais celui-ci refuse. En revanche il accepte que les études de son fils soient prises en charge. Le jeune Fleming fait de belles études et devient médecin. Il gardera, dit-on, des relations suivies avec celui que son père avait sauvé. L'enfant sauvé c'était Winston Churchill. Lorsque Churchill tomba malade à Carthage, il fut sauvé par la pénicilline. Il semble que cette belle histoire ne repose sur aucune base historique sérieuse : elle fut démentie par Fleming lui-même et Churchill, malade d'une pneumonie, ne fut pas traité par la pénicilline mais par un sulfamide..



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Alexander Fleming                     René Dubos                     Selman Waksman


           Mais la découverte d'antibiotiques ne tient pas qu'à Fleming et à ses prédécesseurs, observateurs de pénicillium, elle est aussi redevable à une autre école de pensée qui s'intéressait aux microorganismes du sol. René Dubos et Selman Wasksman en sont les porte-drapeaux. Selman Waksman (1888-1952) est d'origine russe ashkénase ; émigré aux Etats-Unis, il entre comme bactériologiste dans une station d'agriculture du New-Jersey puis en 1940 devient directeur du département de microbiologie du Rutgers College.

           Quant à René Dubos, (1901-1982), c'est un élève du Lycée Chaptal puis de l'institut national agronomique qui émigre ensuite aux Etats-Unis. Après avoir rencontré Waksman, il devient son assistant à l'université Rutgers puis exerce ensuite à l' Institut Rockefeller de New-York. Ce sont ces deux-là (et leurs élèves) qui ont caractérisé un grand nombre des antibiotiques majeurs. Ainsi, en 1938-40, Dubos isole à partir d'une bactérie du sol (Bacillus brevis) un produit qui détruit le staphylocoque. Le produit actif, la gramicidine, est un petit peptide qui agit non seulement sur les staphylocoques mais aussi sur les autres bactéries Gram positives.

           Cette découverte amène Waksman qui jusqu'alors s'est cantonné à étudier les antagonismes dans les populations bactériennes du sol, à s'intéresser à la pathologie humaine et aux bactéries infectieuses. Spécialiste des actinomyces, il découvre deux antibiotiques produits par ces organismes : les actinomycines, antibiotiques dont la toxicité les fera utiliser comme anticancéreux. Puis il découvre la streptothricine et la streptomycine (1944), le premier agent actif contre la tuberculose et tout particulièrement contre la méningite tuberculeuse inexorablement fatale. Suite à ces premiers travaux, des recherches systématiques à partir de microorganismes du sol permirent de découvrir de nouveaux antibiotiques (d'où l'intérêt de la biodiversité), la liste en serait longue et comporterait beaucoup de noms connus de vous amoxicilline (Clamoxyl), Auréomycine (chlortétracycline), Augmentin, gentamycine...

           Dans les années 1970 la recherche sur les antibiotiques ralentit nettement mais les bactéries pathogènes deviennent souvent résistantes aux antibiotiques utilisés inconsidérément, obligeant les chercheurs à introduire de nouvelles molécules. Ce qui complique le problème de la résistance aux antibiotiques est la capacité des bactéries à échanger de petits fragments d'acides nucléiques que l'on nomme plasmides. Or précisément les gènes de résistance sont souvent portés par des plasmides, la résistance pouvant alors se transmettre facilement entre bactéries de la même espèce voire d'espèces différentes.

           Globalement, il faut néanmoins reconnaitre que l'utilisation de ces antibiotiques actifs sur la plupart des maladies bactériennes a été un des principaux facteurs de l'augmentation de l'espérance de vie.

Les médicaments antiviraux et anticancéreux

           La plupart des maladies émergentes sont des maladies virales, pourtant la découverte des médicaments antiviraux, en dehors des vaccins, est relativement tardive et ce n'est que vers 1960 que les premiers antiviraux seront commercialisés. L'un des premiers antiviraux fut le Marboran des laboratoires Wellcome de Londres qui était efficace sur les accidents de la vaccination antivariolique et sur la variole elle-même ; un autre fut l'amantadine, actif sur le virus grippal in vitro, substance maintenant utilisée comme antiparkinsonien. Ce qui est remarquable c'est que la chimiothérapie antivirale et celle contre les cancers ont évoluées parallèlement. Ceci est bien compréhensible puisque cancers et virus sont des formes de vie (pour autant qu'on admette qu'un virus est vivant) qui se greffent comme de véritables parasites sur les organismes animaux ou végétaux. Les deux chimiothérapies vont d'ailleurs intervenir sur les mécanismes de reproduction ou d'expression des gènes, gènes du virus ou gènes cellulaires, mécanismes qui permettent la reproduction ou le décodage du message génétique porté par les fameux acides nucléiques, ADN et ARN, et la fabrication de protéines, souvent des enzymes.

           Parmi les intervenants sur ces mécanismes un avait particulièrement retenu l'attention des chercheurs, c'était l'utilisation d'antimétabolites qui avait déjà été mise en évidence lors de la découverte des sulfamides. La formule chimique du sulfamide ressemblait en effet à celle d'un précurseur d'une vitamine(B9) indispensable à la croissance des microorganismes. C'est cette notion d'analogue chimique qui présida au développement de plusieurs substances semblables aux « briques » (bases et nucléosides) qui constituent une partie des acides nucléiques. Les analogues correspondant aux « briques » chimiquement modifiées sont suffisamment ressemblants pour s'incorporer dans l'acide nucléique mais suffisamment différents pour le rendre non-fonctionnel, entraînant alors la mort de la cellule ou l'élimination du virus. Malheureusement, les cellules saines de l'organisme, héritant de ces mêmes
« briques » modifiées, sont également affectées.

           Parmi les précurseurs dans la recherche de ces analogues de nucléosides on peut citer Bergmann et collaborateurs qui, à partir d'un travail sur les éponges, proposent dès 1951 des arabinosides utiles en chimiothérapie antivirale et anticancéreuse ou Prusoff qui dès 1959 présenta un analogue iodé (nucléoside à iodouracile) antitumoral et antiviral, actif sur une maladie oculaire (kératite herpétique) voire dans l'encéphalite herpétique mortelle.



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Fragment de chaîne d'ADN                               Virus Ebola                              Gertrude Elion          


           D'autres remèdes, sélectionnés parmi des milliers de substances testées, furent développés en chimiothérapie anticancéreuse. Certains sont des antimétabolites (mercaptopurine, fluorouracile.) ; d'autres sont des extraits de plantes inhibant le fuseau mitotique (vinblastine de la pervenche de Madagascar, taxol de l'if) ; certains empêchent la duplication de l'acide nucléique ou sa transcription (agents intercalants comme des dérivés du platine ou les actinomycines) ; d'autres sont des antiostrogènes (tamoxifène .) ou des agents alkylants (cyclophosphamide..) ; d'autres enfin agissent sur des enzymes indispensables pour la multiplication cellulaire (irinotécan, étoposide.). A cette riche pharmacopée s'adjoignent la radiothérapie et l'immunothérapie.

           Enfin on retiendra le nom de Gertrude Elion (1918-1999), une biochimiste new-yorkaise travaillant au laboratoire Wellcome qui obtint le prix Nobel en 1988. Elle est à l'origine des antiviraux comme la vidarabine, actif sur l'herpès ou la vidavirine actif sur le virus de la grippe. On lui doit aussi l'aciclovir (1977), un antiviral bien intéressant parce qu'il n'affecte pas les cellules saines, le produit étant activé par un enzyme viral donc uniquement dans les cellules infectées. On ne peut parler des antiviraux sans évoquer les interférons découverts en 1957 par Isaacs et Lindemann. Ce sont des inhibiteurs cellulaires de la prolifération virale dont l'utilisation thérapeutique a donné des résultats mitigés.

           Si certains pharmacologues souhaitent bon vent aux recherches d'avenir sur les antiviraux, d'autres ont pu comparer la chimiothérapie antivirale au « champ de bataille des illusions perdues » considérant que l'utilisation des vaccins reste le moyen le plus efficace pour lutter contre les virus.

➽ 17 - Les médicaments de l'esprit

           Il y a bien longtemps que l'on connait les effets de certaines plantes sur le psychisme, on parle maintenant d'effets psychotropes. Ainsi l'opium est déjà connu d'Hippocrate, peut-être l'a-t-on introduit dans la pharmacopée destinée à combattre les troubles mentaux parce que, en accordant foi dans la théorie des signatures, sa capsule évoque une tête humaine. La belladone, la plante qui donne de la profondeur au regard du fait de la dilatation des pupilles (belle-dame) était employée par les égyptiens comme somnifère et les syriens lui attribuaient la propriété de combattre les « idées noires » de la dépression, peut-être à cause de la couleur noire de ses baies que l'on pourrait confondre avec des myrtilles. Dans l'antiquité gréco-romaine, une autre plante toxique, l'hellébore ou ellébore, qui selon Dioscoride « purge le bas-ventre » est considérée comme un bon remède pour les épileptiques et les fous. D'ailleurs La Fontaine le confirme dans le lièvre et la tortue. Celle-ci défie le lièvre à la course, le lièvre la juge folle et lui dit : « Ma commère, il faut vous purger avec quatre grains d'ellébore » . Mais des plantes plus banales ont également des effets sur le psychisme : la laitue serait apaisante (laitue des eunuques selon Platon) et la roquette aphrodisiaque.

De la folie

           Au cours du temps les conceptions sur la folie ont évolué en fonction des apports scientifiques mais aussi des a priori moraux ou religieux. En Europe jusqu'au XIVème siècle le fou est considéré comme un possédé du diable qu'il faut isoler de la société. Après la fin des croisades, la lèpre diminua libérant les léproseries et les maladreries qui furent transformées en asiles, ce qui permit d'employer les personnels qui y étaient attachés. Dans ce grand renfermement hors des villes comme le dit Foucault dans son histoire de la folie à l'âge classique on mêle indistinctement pauvres, prostituées, opposants politiques et véritables « fous ». L'hôpital général, ancêtre de l'hôpital psychiatrique, date du XVIIème siècle. La thérapeutique y est sommaire : chaînes et cachot. On doit à Philippe Pinel et à son élève Jean- Etienne Esquirol, au début du XIXème siècle, une classification des désordres mentaux ainsi qu'une réforme de leur traitement qui devient beaucoup plus humain. L'hôpital de la Salpêtrière devient un centre d'accueil des maladies nerveuses et mentales. L'évolution sera longue pour transformer le statut d'aliéné en celui de malade mental plus conforme à la dignité humaine.

L'aube de la psychopharmacologie

           Ce sont les observations cliniques et l'expérimentation en psychopathologie, inaugurées par Jacques-Joseph Moreau de Tours (1804-1884) et son traité « Du haschich et de l'aliénation mentale » , qui avaient très tôt montré que des substances chimiques peuvent provoquer des effets analogues aux psychoses. Une partie des observations du précurseur de la psychopathologie qu'était Moreau de Tours étaient faites dans un cadre bien particulier, celui du club des haschichins, les amateurs de haschich, qui se réunit de 1844 à 1849 dans l'hôtel de Lauzun, quai d'Anjou, dans l'ile Saint-Louis. Là se regroupaient autour de Moreau, Théophile Gautier, Gérard de Nerval, le peintre Delacroix, Baudelaire, voire Balzac ou le caricaturiste Daumier. On fumait des calumets à la marijuana ou on dégustait une confiture verte (ce n'est pas encore la fée verte, la belle absinthe) confectionnée par Moreau lui-même : le dawamesk. Daumier caricaturera le fumeur de joint et Théophile Gautier écrira « Le club des haschichins » et la préface des Fleurs du mal de Baudelaire. Gautier raconte, qu'à la suite d'une consommation, il a vu les jambes de son voisin de table transformées en racines de mandragore ; une autre fois c'est une fantasia marocaine qui défile sous ses yeux, peut-être une réminiscence des belles aquarelles faites par Delacroix au cours de son voyage en Afrique du Nord. Moreau de Tours pourra écrire « Du haschich et de l'aliénation mentale. Etudes psychologiques » , en 1845, dans lequel il montre l'analogie entre le rêve et la folie. Parmi les effets du haschich il en est un qu'a oublié Moreau : un médecin sexologue de l'époque, le docteur Roubaud, le signale : l'usage du cannabis provoque l'impuissance. Et pour le prouver il relate ses tentatives infructueuses pour conclure un rapport avec une femme de mœurs faciles tant son organe était flaccide à la suite de la prise de cannabis. Pourrait-on aujourd'hui prendre en compte une si belle expérimentation, dépourvue de toute analyse statistique ?

Origine chimique de la maladie mentale

           Un certain nombre d'autres observations militaient pour une origine chimique de la maladie mentale. Ainsi certaines infections (tuberculose, typhoïde, colibacillose) engendraient des troubles psychiatriques comme la catatonie (passivité, troubles démentiels et moteurs, voire parkinsoniens). Comme on avait pu isoler à partir des microorganismes des toxines actives cela renforça l'idée de l'origine chimique possible des psychoses.

           A l'autre bout du monde, chez les indiens des Andes, on utilisait les plants de peyotl ou des champignons pour provoquer des effets hallucinogènes lors de manifestations rituelles de sorcellerie. Certains champignons provoquent des effets aphrodisiaques ou hystériques, d'autres suscitent des souvenirs ou des actes violents, certains sont oniriques, provoquant des phénomènes de rêves en état éveillé, le signe même de la folie selon Kant. On utilisait aussi les feuilles de coca pour accroitre la résistance à la fatigue.



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Chanvre (Cannabis)                      Peyotl                               Champignons hallucinogènes                 


           De ces plantes on a isolé des principes actifs : la mescaline (du peyotl), suite aux travaux de Lewin et à son isolement par Hefter en 1894, la psilocybine (et la psilocine) des champignons hallucinogènes et la cocaïne, isolée en 1855 par Gaedcke selon les uns ou par Niemann selon d'autres. D'autres stimulants étaient connus par exemple celui du fruit du caféier offert par l'ange Gabriel au prophète Mahomet. Son principe actif, la caféine fut isolé par Runge en 1820. Elle est également présente dans le thé, le cacao et dans la noix de cola. Cette conception d'une influence du chimique sur le psychisme trouvera confirmation par la mise en évidence de l'activité des composés indoliques dont la formule est proche de celle d'amines-biogènes comme la sérotonine.

Thérapeutique des psychoses.

           Succédant aux sédatifs classiques, surtout végétaux (belladone, jusquiame, valériane..), au XIXème siècle, la chimie propose d'abord le bromure (brome découvert par Balard dans les eaux-mères des prés-salés de Montpellier, en 1826). Initialement utilisé contre la syphilis vers 1830, il se révèlera une excellente « muselière des épileptiques » . Puis au début du XXème siècle on découvre les propriétés sédatives de dérivés de l'urée, Véronal, inventé par Hermann Emil Fischer (1903) puis le Gardénal commercialisé en 1912 par Rhône-Poulenc. Ces premiers barbituriques à la fois hypnotiques et antiépileptiques seront suivis par beaucoup d'autres, Nembutal, Pentothal, Eunoctal...

           Tous ces produits sédatifs n'avaient guère d'effet contre les psychoses et l'agitation, bref les vrais signes de la folie. Certains, comme Wagner Jauregg (un psychiatre autrichien, Prix Nobel 1927) qui a introduit la malariathérapie dans le traitement de la syphilis, avaient montré l'effet bénéfique de la fièvre sur certains troubles psychiatriques (pyrothérapie). Jauregg pendant la première guerre mondiale traita des névroses de guerre, parfois simulées, par le choc électrique. Le traitement était si cruel que des soldats traumatisés lors des combats préféraient retourner au front plutôt que de le subir. Ces méthodes de choc seront suivies par l'insulinothérapie (Sackel,1933), les convulsivothérapies, l'électrochoc (Cerletti,1938) et les cures de sommeil obtenues par un mélange médicamenteux contenant du chloral (mélange de Cloetta). On commence alors à améliorer les bouffées délirantes et certaines schizophrénies.



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          Hermann Emil Fischer                                        Henri Laborit                   


           Mais une découverte fortuite va transformer la thérapeutique de la folie : en 1952 Henri Laborit (1914-1995) introduit la chlorpromazine (Largactil), un antihistaminique faible fortement sédatif. Ce produit très efficace pour induire un repos végétatif était issu des recherches sur les antihistaminiques commencées dans le laboratoire de Fourneau en 1937 par Bovet et Staub. Les effets de cette molécule et ceux de beaucoup d'autres neuroleptiques seront particulièrement étudiés par Delay et Deniker à l'hôpital sainte-Anne. Ces neuroleptiques (Nozinan, Majeptil, réserpine, halopéridol..) se révèleront actifs sur la plupart des psychoses sauf les psychoses dépressives.

           C'est la découverte (1938) d'un composé synthétique (LSD) dérivé de l'acide lysergique, la toxine de l'ergot du seigle, qui inaugure les études sur les antidépresseurs. On savait que ce champignon qui était à l'origine de l'ergotisme (mal des ardents ou feu de Saint-Antoine) provoquait des délires hallucinatoires. Le LSD provoquait également des hallucinations colorées et des effets psychédéliques, ce qu'avait fortuitement observé en 1943 son créateur, Albert Hofmann, alors chimiste au laboratoire Sandoz. Ce LSD contenait un noyau indole comme la plupart des toxines des plantes hallucinogènes (mescaline, psilocybine) et certains neurotransmetteurs comme la sérotonine. D'autre part, fortuitement, en 1957, on avait découvert (Kline, Saunders et al.) qu'un anti-tuberculeux, l'iproniazide (Marsilid)), qui manifestait des effets antidépresseurs (pilule du bonheur) inhibait une oxydase, un enzyme détruisant certains neurotransmetteurs. Ainsi prirent naissance les fameux inhibiteurs de la mono-amine oxydase (IMAO, Marplan, Sursum) ainsi que d'autres remèdes qui empêchent la recapture de la sérotonine. L'un des plus célèbres antidépresseurs de cette dernière catégorie est le Prozac (fluoxétine,1988).

➽ Conclusion

           Depuis la seconde moitié du XXème siècle le nombre des médicaments a singulièrement augmenté et dans toutes les classes thérapeutiques ; de nouveaux remèdes sont apparus comme les anticorps monoclonaux ou les gènes eux-mêmes devenus médicaments dans les thérapies géniques. Ces médicaments nouveaux sont le plus souvent les produits de recherches fort complexes, œuvres d'équipes pluridisciplinaires faisant participer public et privé.

           Les coûts de la recherche et de la production deviennent gigantesques et ne peuvent être assumés que par les états ou les grandes sociétés pharmaceutiques. Aussi faut-il rentabiliser ces activités et satisfaire les exigences des actionnaires, ce qui amène parfois à remplacer des médicaments anciens peu onéreux par de nouvelles formules guère plus efficaces mais vendues beaucoup plus chères. C'est aussi la recherche du blockbuster, le médicament que la publicité et souvent les médecins recommandent au plus grand nombre de patients comme dans le cas des fameuses statines. Quoiqu'il en soit, dans notre société médicalisée, le médicament a certainement de beaux jours devant lui et tout en espérant une moralisation des pratiques de l'industrie pharmaceutique et la disparition des dérapages scandaleux (Médiator), souhaitons-lui bon vent. Et souvenons-nous : pharmakon, en grec ancien, signifie le remède. mais aussi le poison !!!

Jean Roussaux, professeur honoraire, UPMC (Sorbonne Université)

J.R. - 02/2022