étude


Dans la saga des Gramont :

  " 1875 - Élisabeth de Gramont,
                                          de Clermont-Tonnerre "


Par Jean-François Martre


J'ai eu le plaisir de découvrir au hasard des brocantes ces livres de Mémoires dans lesquels on parle de Puteaux.



Etude032-1
« Mémoires » d'Élisabeth de Gramont, tome I - Au temps des équipages.
Publié en 1928 aux éditions Grasset.
Élisabeth de Gramont ou de Clermont-Tonnerre, née à Nancy le 23 /04/1875, morte à Paris le 06/12/1954


Etude032-2
Élisabeth de Gramont, portrait à l'ombrelle par Louise Catherine Breslau.


Femme de lettre, aristocrate, elle épouse le 2 juin 1896 Philibert de Clermont-Tonnerre dont elle eut deux enfants, amie de Robert de Montesquiou et de Proust, éprise de découvertes et d'aventures (nombreux voyages), elle connut ensuite une longue relation homosexuelle avec Natalie Clifford Barney qui fit beaucoup de bruit à l'époque, et fut surnommée la « duchesse rouge » lorsqu'elle embrassa la cause du marxisme et du Front populaire dans les années 1930.

Ce premier livre de ses Mémoires raconte de façon délicieuse son enfance et son illustre famille, et dessine le portrait d'un monde frivole et exquis destiné à disparaître.

Extrait page 1 -

Point de départ

Ce fut chez Mme de Caillavet et dans le groupe où Anatole France vivait et pensait, que l'étonnante diversité des compartiments où s'enfermaient la plupart des Français m'apparut.
La surprise un peu scandalisée que ma présence et celle de M. de Clermont-Tonnerre causèrent aux habitués du salon de l'avenue Hoche me stupéfia.
Quelles raisons secrètes et terribles y avait-il pour qu'un ménage troquât Polo, Puteaux et champs de courses pour les dimanches Caillavet ? La vie de bazard n'était pas encore instituée en ces époques lointaines, et chacun se devait de rester dans son clan.


Madame Caillavet tenait un salon politique et littéraire au n°12 de l'avenue Hoche dans lequel peu d'aristocrates se retrouvaient. Elle vit avec Anatole France une liaison passionnée et exclusive, il s'installe en partie chez elle et on vient ici pour le rencontrer. Les jeunes Clermont-Tonnerre sont entraînés dans ce salon par leurs amis Montesquiou et Proust.

Ce faisant, ils délaissent leur clan aristocratique « Polo, Puteaux et champs de courses » où ils avaient leurs habitudes et leurs relations. Le seul endroit à Puteaux , fin des années 1890 début 1900, où de jeunes aristocrates retrouvent leur clan ne peut-être que Le Cercle de l'ile de Puteaux.

A cette époque, ce qui importe au premier chef, c'est de se montrer, en train de pratiquer un exercice physique ou, simplement, de regarder ceux qui s'y adonnent. Pour les nobles, les sports « s'inscrivent en effet, comme les échanges mondains, bals, dîners, soirées, rallyes, etc., au nombre des activités qui permettent des rencontres choisies ». D'où l'apparition de lieux ad 'hoc, où sports et mondanités se combinent et parfois se confondent.

C'est ainsi que le Cercle de l'ile de Puteaux, le premier club de tennis parisien, est décrit par la comtesse de Sesmaisons comme un lieu choisi où règne « une simplicité relative de bon ton qui ne fait qu'accentuer la très agréable impression de bonne compagnie qu'on y éprouve ». « Le bac ne cesse de passer d'une rive à l'autre et d'emmener, dans cette petite ile aristocratique, l'élite de la société parisienne ». (Histoire du snobisme - Frédéric Rouvillois).

Etude032-3
Le cercle de l'ile de Puteaux, par Henry Gervex, vers 1907, Musée Carnavalet


Rappelons-nous que pendant les jeux olympiques de 1900, le Polo se passe au Bois de Boulogne et le Tennis au Cercle de l'ile de Puteaux, quant aux champs de courses fréquentés par les jeunes Clermont-Tonnerre, il s'agit de Longchamp le dimanche et d'Auteuil le jeudi.

Elle consacre un chapitre sur « Les champs de course » dans le deuxième tome de ses Mémoires intitulé « Les marronniers en fleurs ». Voici quelques passages qui nous éclairent sur la famille Gramont.
Avant Napoléon III, les courses étaient un passe-temps de gentilshommes. Louis XVIII avait bien régularisé les courses, fondées sur le haras de Meudon et confié sa direction au duc de Guiche ; celui-ci montait lui-même au Champ de Mars, ce premier hippodrome parisien, et son beau-frère d'Orsay gagna une épreuve avec sa jument d'Alvina.
Ida d'Orsay duchesse de Guiche, épouse Antoine IX duc de Gramont en 1818.

Etude032-4
Course du Champ de Mars par John Mills, collection privée.
« Paris, 5 septembre 1824/ Penelope, jument »


Etude032-5
Course au Champ de Mars vers 1825 par M. Mills, Musée Carnavalet


Mais le véritable essor des courses date de l'Empire, quand Longchamp fut inauguré en 1857, et en 1862, la Société d'Encouragement a fondé un prix sous le nom de « Prix de Guiche » qui est encore couru chaque année au mois de mai à Chantilly sur la piste du Jockey Club.
En 1900, elle cite une figure de Puteaux : Fernand Charron.
Coureur cycliste, intelligent, énergique, il se créa dans l'automobile une place de précurseur.
Les gens se levaient à 4 heures du matin pour voir passer dans un circuit le bolide du moment, la 11 HP Charron. Sa marque fut rapidement adoptée : ils y viennent tous à la Charron ». Puis il eut des chevaux, les monta lui-même, gagna quelques courses et s'éclipsa.
Les usines Charron étaient au 7 rue Ampère à Puteaux.

Retrouvons nos jeunes de Clermont-Tonnerre au tournant de 1900 après les courses :

Au fur et à mesure que les nuits devenaient plus chaudes, le groupe joyeux s'avançait du côté du Bois, à Madrid, à Armenonville, au polo, ou à Puteaux où Léon de Janzé avait créé une ile bienheureuse. Les sports diurnes, tennis et cabotages, occupaient l'après-midi, et dès que le soleil s'éteignait derrière les collines de Meudon, des tables blanches couvertes de roses se dressaient au bord de l'eau, attendant les coudes nus des jeunes femmes.

Pour se rendre sur l'île, on empruntait un transbordeur dont l'embarcadère se trouvait sur la berge de Neuilly quai Bourdon anciennement quai de la Pompe en mémoire de la pompe de Saint-James.



Etude032-6
Le parc Lebaudy occupe aujourd'hui l'espace où était installé le Cercle de l'ile de Puteaux.


J.F.M. - 12/2021