étude


PUTEAUX 1870 - 1871, LE SIEGE, LA COMMUNE

  " Les bombardements et la guerre fratricide. "


Par Jean-François Martre


Comme nous l'avons vu dans la chronologie des évènements, il y eut des accrochages avec les prussiens le 19 janvier 1871 au rond-point des Bergères, mais la période la plus meurtrière sur Puteaux eut lieu en avril-mai 1871. Le pont de Neuilly étant l'un des seuls en état pour accéder à la Capitale par l'ouest, les fédérés qui occupaient Puteaux et la Caserne de Courbevoie se replient sur la ville de Neuilly dans laquelle ils vont se barricader et se battre pendant tout le mois de mai 1871, pour défendre l'accès de Paris par la barrière de la Porte Maillot.



Etude029 - 1


Cette lithographie dont on ne connaît pas le dessinateur est au musée Carnavalet.
Nous sommes le 2 avril 1871, les fédérés repliés de Puteaux et de Courbevoie défendent le pont sur une barricade interdisant l'entrée de Neuilly. Ils vont perdre cette position, c'est le début des bombardements entre le Mont Valérien et les fortins des fortifications qui défendent Paris, et des combats acharnés dans Neuilly entre Versaillais et Fédérés, jusqu'au 21 mai 1871.


Premier témoignage


« Le siège de Paris : 1870-1871 » est un album de 110 photographies prises par Auguste Bruno Braquehais (1823-1875), photographe français et pionnier du photojournalisme, documentant le siège et les effets du bombardement, ainsi que les destructions entraînées par la Commune de Paris. L'album fait partie de la collection Thereza Christina Maria rassemblée par l'empereur Pierre II du Brésil et qu'il a offerte à la Bibliothèque nationale du Brésil.
De nombreuses photos de cet album sont disponibles sur le site :
"https://books.openedition.org/septentrion/54814?lang=fr"

Nous avons rassemblé celles qui nous touchent de près, à commencer par la vue de l'avenue de Courbevoie (future avenue de la Défense), depuis le pont de Neuilly. Le pont de pierre est celui construit par Perronet, les immeubles de gauche sont à Puteaux, ceux de droite à Courbevoie.




Etude029 - 2


La vue suivante, montre la dernière maison de Neuilly sur les quais, et de l'autre côté de la Seine, les quais de Courbevoie et l'avenue de Courbevoie (de la Défense).



Etude029 - 3


Les batteries de la Porte Maillot tenaient en enfilade l'avenue de Neuilly et pilonnaient le pont de Neuilly et l'avenue de Courbevoie. Elles essayaient de riposter aux canons du Mont Valérien causant des dégâts sur Puteaux.

Ces photographies montrant les grandes batteries de droite et de gauche ont été prises le 14 mai 1871 à 5h 30 du matin, sous le feu du Mont Valérien.

Rappelons-nous que le 17 mai Roque de Fillol intervient auprès de la Commune pour que cessent les tirs d'obus contre le Mont Valérien passant au-dessus de Puteaux, y faisant dégâts et morts, sa propre maison a été en partie détruite.



Etude029 - 4


Etude029 - 5


Le bois de Boulogne et ses postes militaires ont été aussi bombardés depuis la Mont Valérien. Sur la vue suivante, les restes du poste militaire n°9 près de la Porte d'Auteuil. La gare d'Auteuil, le viaduc et le chemin de fer sont détruits.



Etude029 - 6


Cette photographie (parmi une dizaine d'autres) de l'avenue du Roule à Neuilly à proximité de la place du Général Gouraud, montre l'état des destructions et la fureur de cette guerre fratricide. L'avenue de Neuilly, celle du Roule, la rue Perronet ont fait l'objet de combats violents avec des canonnades en enfilade de rue.



Etude029 - 7A


Deuxième témoignage


Ce livre écrit par Véronique Magnol-Malhache, historienne de l'art, publié en 2007 par le Conseil Général des Hauts-de-Seine, raconte « Théophile Gauthier dans son cadre ».



Etude029 - 7B


Etude029 - 8


En 1857, quittant la rue de la Grande-Batelière à Paris, Théophile Gauthier (Tarbes 1811 - Neuilly-sur-Seine 1872), s'installe rue de Longchamp à Neuilly. Repère rouge sur cette carte de 1870.

Extrait de sa lettre du 24 août 1857 à son ami Gustave Doré :

« Le Neuilly que j'habite est rue de Longchamp n° 28 (devient le 32 en 1860), la dernière rue à gauche avant le pont en venant de Paris. »

Avec sa compagne Ernesta Grisi, cantatrice d'origine italienne, ses deux filles Judith et Estelle, ses deux sours, ses chats, ses livres et ses objets d'art, il emménage dans cette petite maison de campagne à deux étages, pourvue d'un jardin en contre-bas et y vivra quinze ans, jusqu'à sa mort.
C'est une maison agréable où il reçoit beaucoup ; on peut venir du centre de Paris avec le tramway. Cependant on est dans une zone inondable et il n'est pas rare qu'un lac boueux recouvre le jardin en hiver.

De même qu'à Puteaux, le 11 septembre 1870, les habitants de Neuilly reçoivent l'ordre de se réfugier dans Paris. Théophile Gautier s'installe 12 rue de Beaune auprès du journal.

« Rien de lamentable comme ces processions de chariots, de charrettes, de voitures à bras, de brouettes, de fiacres qui se dirigent sur Paris traînant de pauvres mobiliers avec des femmes et des enfants assis sur des matelas. » écrit-il à ce sujet le 11 septembre 1870.

A peine s'est-il réinstallé dans sa maison « intacte par miracle. Elle n'a subi ni les mobiles, ni les casques pointus. » écrit-il le 9 mars 1871 qu'il part le 20 mars à Versailles pour retrouver son journal expulsé de Paris.

19 avril 1871 - « Courbevoie et le pont de Neuilly sont devenus le théâtre de luttes acharnées. L'avenue est balayée perpétuellement par les canons, les obusiers et les mitrailleuses de combattants ; (.) La maison n'a pas été atteinte, sérieusement du moins . »

20 mai 1871 - « D'ici deux ou trois jours, nous pourrons aller tirer cette pauvre Lili de sa cave et voir ce qui reste de notre maison de Neuilly, où il y a eu un commencement d'incendie causé par un obus. Lili l'a courageusement éteint avec l'eau du réservoir. Sans cela tout brulait. ».

16 juin 1871 - « Nous nous sommes réinstallés à Neuilly au milieu des gravats. Des murs à jours, des cloisons effondrées, des planchers qui gondolent, des fenêtres sans vitres, des protes ne fermant plus, voilà l'état des lieux. » Il faudra plusieurs mois pour récupérer une maison en bon état.
En fait, on a compté trois obus et des milliers de balles sur cet étroit parallélogramme de pierre.



Etude029 - 9

La maison de Théophile Gauthier, 32 rue de Longchamp à Neuilly.



Troisième témoignage


Le blog sur la Commune de Michèle Audin, mathématicienne, autrice, est remarquablement riche de sources d'informations sur ces deux années qu'elle résume avec Jules Vallès de « la défaite, la révolte, le massacre ».
"https://macommunedeparis.com"

Parmi les nombreux témoignages qu'elle cite, retenons celui d'Alix Payen, ni ouvrière, ni membre de l'union des femmes, pas institutrice, pas internationaliste, mais qui s'engage pour défendre la Commune. Les lettres d'Alix avec sa famille sont publiées dans le livre de Paul Milliet (son frère) Une famille de républicains fouriéristes (1916) et Mémoires de femmes, mémoire du peuple, anthologie réunie par Louis Constant, Petite collection Maspero (1978).



Etude029 - 10


Alix Payen (1842-1903), mariée à Henri Payen, est la fille de Félix Milliet (1811-1888), officier, poète-chansonnier, rentier, et de Louise de Tucé, administrative de la colonie de Condé. Ce sont des bourgeois, aux idées socialistes, proches des fouriéristes.

Le 12 avril 1871, Alix s'engage comme (ambulancière) infirmière dans le bataillon de son quartier, pour rejoindre au fort d'Issy son mari Henri, employé bijoutier, sergent dans le 153e bataillon de la garde nationale. Son engagement et son courage sont remarquables.

Après la perte du fort d'Issy et quelques jours de repos à Paris, le bataillon passe les fortifications à la porte Bineau le 11 mai 1871 et caserne à Levallois-Perret, tout près de la porte elle-même.

Vendredi 12 mai,

(Chère mère,

... Les jolies maisons dont nous occupions les jardins sont le village de Neuilly et, en avant de nous, notre bataillon occupait cette rue Perronet que Paul a eu tant de mal à créneler. Les hommes que nous remplaçons à ce poste nous racontent qu'ils ont écrit une lettre, et l'ont lancée avec une pierre aux lignards, pour les engager à fraterniser. Ceux-ci répondirent par la même voie que cela leur était impossible, mais que les fédérés feraient bien de ne pas tirer, parce qu'on pourrait facilement les écharper.
La nuit est assez calme. Chez nous, toute la journée, les hommes s'amusent à visiter les villas et rapportent qui un matelas, qui un tapis ou de la vaisselle.
J'ai visité quelques maisons. C'est déplorable : des ruines et toujours des ruines. Au milieu de tout cela, les jardins fleurissent et poussent à l'aventure. les fraises rougissent et les groseilles vertes trouvent amateurs.
Pendant la nuit, on s'est fusillé comme d'habitude, mais avec moins de violence. Le temps était glacial, nous étions tous gelés. Nous n'avons eu qu'un blessé, atteint légèrement aux deux jambes par un éclat d'obus. A quelques mètres de nous, il y a un homme tué depuis quatre jours. Nous voudrions aller le relever, mais les balles pleuvent à chaque fois qu'on essaie. Comme il est inutile de se faire tuer pour un mort, on l'a laissé là. Ce qui rendait notre position désagréable, c'est que nous avions le feu ennemi à la fois de face et sur le côté.
A quatre heures du matin, le 108e est venu nous relever et nous sommes rentrés à notre casernement de Levallois. Mais nous avons eu beau suivre les jardins et raser les murs, du Mont Valérien, les Versaillais ont vu notre logis et les obus ont commencé à bombarder le pauvre village. Aussitôt les boutiques se ferment, les habitants descendent dans les caves. Ils visent joliment bien. Nous en étions quittes jusqu'ici pour des vitres cassées, lorsqu'une jeune fille a été tuée dans sa chambre à côté de nous. Le Commandant a bien manqué d'être tué par un obus qui a éclaté sous notre porte cochère, sans faire d'autre mal qu'une forte contusion à la cuisse d'un homme... »



Neuilly, dimanche 14 mai

« Chère mère,

... Nous sommes installés dans les écuries d'un splendide hôtel. Les jardins sont magnifiques. La maison est presque tout effondrée. Les écuries sont en sous-sol où l'on entre par une pente côté jardin. Ce sont de belles boxes, des abreuvoirs de marbre, et c'est meublé d'une manière somptueuse, avec les fauteuils de toutes les chambres ; c'est d'un luxe inouï. On dit que cette propriété appartient au duc de Mouchy. Nous avons des matelas, mais c'est froid.

. Le soir, avant notre départ de Levallois, nous étions couchées, mais quelques hommes causaient encore sur le pas de la porte, lorsqu'une balle traverse la jambe de l'un d'eux. Le docteur étant absent, c'est moi qui l'ai pansé. Cette balle a dû partir d'une maison voisine. On a fait des perquisitions qui sont restées sans résultat. »

Le 19 mai, Henri Payen est blessé et il meurt probablement du tétanos le 29 mai 1871.
Par la suite, Alix Payen a travaillé chez des photographes et vendu ses aquarelles pour subvenir à ses besoins, puis elle se remariera plus tard et mourra en 1903.



Etude029 - 11


Quatrième témoignage
Étude de Robert Cornaille de la Société d'Histoire de Nanterre


"http://histoire-nanterre.org/wp-content/uploads/2013/08/NI_SHN_358.pdf"

Cette étude montre l'importance de la puissante artillerie installée au fort pour pilonner les positions prussiennes, notamment grâce à son canon de la marine « la Valérienne ».
Cette première partie de la guerre contre les prussiens est racontée en détails dans le livre « six mois au Mont-Valérien, 1870/1871 de Georges Moussoir
"https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1265803v.texteImage"

Mais aussi le rôle déterminant du Mont Valérien dans la défaite de la Commune, à partir du moment où les prussiens ont rendu le fort aux français, le 7 mars 1871.
Sous la pression des Versaillais et à la suite de négligence concernant le contrôle du fort, les Fédérés sont contraints les 2 et 3 avril de quitter Puteaux et Courbevoie et de se replier sur Neuilly.

Le dessin ci-joint montre à quel point Puteaux était sur la trajectoire des obus du Mont Valérien pilonnant les barricades de la Porte Maillot.


Etude029 - 12



J.F.M. - 06-2021