étude


PUTEAUX 1870 - 1871, LE SIEGE, LA COMMUNE

  " Jean-Théoxène Roque de Fillol "


Par Jean-François Martre


La lecture des évènements qui ont eu lieu à Puteaux pendant cette année terrible met en avant le maire de l'époque, Roque de Fillol, un républicain proche de Jean Jaurès de Henry Rochefort et des radicaux, un homme aux idées sociales avancées, plus soucieux des autres que de lui-même comme cela ressort dans les trois témoignages suivants.



Premier témoignage - Les hommes d'aujourd'hui n°136


Revue à l'intention littéraire et satirique, fondée par l'écrivain et journaliste Félicien Champsaur et le dessinateur André Gill en 1878. Reprise par Léon Vanier en 1885, elle disparaît en 1899.
C'est un 4 pages dont la première est consacrée à un portrait-charge en couleur de la personnalité. Chaque numéro est une monographie sur une personnalité contemporaine des arts, des lettres ou plus rarement du monde politique, scientifique et technique ou de la religion.
L'ensemble comporte 469 parutions (2 à 4 numéros par mois), et le premier numéro paru le 13 septembre 1878 est consacré à Victor Hugo.
Pour le numéro 136 consacré à Roque de Fillol, le dessin est de Gill et la monographie est signée Pierre et Paul, pseudonyme de Léon Vanier. Il n'y a pas de date sur la revue, mais on peut l'estimer aux alentours de 1882.



Etude028 - 1


Jean-Théoxène Roque (de Fillol) est né le 11 avril 1824 dans un petit hameau du département de la Gironde. Ce hameau, dont le nom est associe? au sien, dépend de la commune de Sainte-Colombe. Il est situé au sommet d'une agreste colline dominant la délicieuse vallée qui s'étend de Libourne à Bergerac.

L'homme auquel nous consacrons cette notice est d'origine plébéienne. Il appartient, par son père, à une vieille famille d'agriculteurs dont les générations nombreuses semblent s'être indissolublement unies au sol que, durant des siècles, elles ont arrosé de leurs sueurs et fécondé de leur incessant travail. Lorsque sa mère (Jeanne Musset) mourut, en 1838, celui dont nous esquissons le portrait avait à peine 14 ans. La mort de cette mère tendrement aimée lui fit au cour une blessure toujours saignante et que les années ne purent cicatriser.
La tristesse qui envahit alors son âme ne s'est point effacée ; depuis, tous ceux qui ont vécu dans son intimité en portent témoignage. Partout et toujours, dans la bonne comme dans la mauvaise fortune, il conserva le culte de cette mémoire vénérée et chérie. Son cour, après 43 ans d'émotions diverses, souvent profondes et violentes, est encore plein de ce tendre souvenir.

Devenu veuf, le père de M. Roque (de Fillol) eut à se préoccuper de l'avenir de son fils qui, déjà instruit et doué des dispositions les plus heureuses, donnait de magnifiques espérances. L'indécision constituait malheureusement le fond du caractère paternel.

Après l'avoir quelque temps associé à ses travaux, il songeait à le destiner au notariat, quand un de ses amis lui conseilla d'en faire un vétérinaire. Il suivit ce conseil, mais comme le jeune Roque n'avait pas encore l'âge réglementaire pour entrer à l'école de Toulouse ou à celle d'Alfort, il le confia à cet ami afin de l'initier de bonne heure aux connaissances les plus élémentaires de cet art.

Deux années s'écoulèrent sans autre résultat. Tourmente? par tant d'irrésolutions et n'écoutant plus que son courage, notre jeune homme se détermina à partir pour Bordeaux dans le dessein de s'y livrer à l'étude et à la pratique du droit. Il avait alors 18 ans.

L'espace nous manque pour retracer ici la louable persévérance de ses efforts et de ses perpétuels combats en face de difficultés sans cesse renaissantes, efforts et combats suivis tantôt d'espérance, tantôt de déceptions, jamais de découragements. S'il triompha, ce fut de haute lutte et grâce à l'énergie de sa persévérante volonté.

La Révolution de 1848 éclate. Roque (de Fillol) la salua avec enthousiasme et s'y mêla avec l'ardeur de son âge et de sa foi républicaine. Une insanité littéraire « La Foire aux idées » (1)(2), insultante au suprême degré pour les élus du suffrage universel, fit alors son apparition sur l'un des théâtres de Bordeaux et y causa grand tumulte. La police et l'armée furent requises. La pièce tomba, mais une dizaine de républicains furent mis au violon pour 24 heures. M. Roque (de Fillol) fut de ceux-là.

Il vint en 1850 se fixer à Paris, afin de pouvoir prendre une part plus directe et plus active aux évènements que, déjà, il voyait poindre à l'horizon. Si quelqu'un se laissa surprendre par le coup d'État de décembre, ce ne fut pas lui. Il se leva pour le combattre et à l' heure du vote il protesta par son abstention contre le rétablissement de l'empire, ne reconnaissant pas au parjure violateur de toutes les lois le droit d'en invoquer une seule pour demander au peuple de légitimer, que dis-je ? de couronner le plus criminel des attentats. En 1853 Roque (de Fillol) publia à l'étranger sous ce titre : Tocsin d'alarmes (3), une critique véhémente contre la guerre de Crimée entreprise comme on sait sous l'instigation des prêtres et pour la possession du problématique tombeau qu'ils appellent le Saint-Sépulcre.

En 1857 il entreprit un voyage dans les Indes occidentales. Après avoir d'abord visité les Antilles, Carthagène et Sainte-Marthe, il traversa l'isthme de Panama par le chemin de fer récemment inaugureé, à l'endroit même où il est question de creuser aujourd'hui un canal maritime. De Panama il gagna l'Équateur où, du fond du golfe de Guayaquil, il put contempler à son aise, à côté des petits équatoriens le géant des Andes, ce fameux Chimboraço, rival des enfants du Thibet dont le front étincelant de cristal brise et multiplie les rayons du soleil. Le Pérou était alors en pleine révolution. Le temps qu'il y passa lui permit de collectionner un grand nombre de documents inédits sur l'histoire des Incas qu'il se proposait de publier lorsque la guerre de 1870 éclata (4).

De retour en France, il se rallia, en 1863, à la candidature bourgeoise de M. Thiers opposée par tous les partis hostiles à l'empire, à celle de M. Devinck, candidat officiel. On sait comment le sinistre Thiers paya plus tard, sa dette de reconnaissance à la démocratie.

Deux ans plus tard, en 1865, M. Roque (de Fillol) alla se fixer à Puteaux (5). Il y avait 5 ans qu'il résidait dans cette ville lorsque la guerre contre l'Allemagne éclata.

Dès le mois de mai 1870 il était entré en lutte ouverte avec l'empire qu'il prit corps à corps dans le fameux manifeste anti plébiscitaire qu'il lança alors et qui fit tant de bruit dans cette contrée (6). C'est peut-être après les Châtiments l'anathème le plus terrible qui ait été lancé à la face de l'empire encore debout et dans tout son prestige.

En parlant du plébiscite le courageux citoyen s'écriait : « Avoir l'audace, le cynisme, au déclin du XIXe siècle, de proposer une telle énormité à la sanction d'un peuple qui aspire à la République et à ses conséquences sociales, c'est à dire à une répartition plus équitable des charges et des avantages sociaux, c'est plus qu'une insulte, c'est un défi., c'est dire à la nation « Tu es ma chose »; aux citoyens: « Vous êtes mes esclaves »; au progrès « Tu n'iras pas plus loin ». Sur ce triste mausolée de la souveraineté nationale et des libertés publiques, il faudrait graver cette inscription : Ci-git la raison humaine !»

Et puis quel étonnant et admirable pressentiment de nos désastres futurs dans les lignes si étrangement prophétiques où il menaçait les partisans de l'empire d'une « guerre onéreuse comme en Crimée, problématique comme en Chine et en Cochinchine, sans couronnement comme en Italie, funeste comme au Mexique, humiliante comme à Sadowa I »

Presqu'au début de la guerre, le 6 août, des élections municipales eurent lieu à Puteaux et dans toutes les communes suburbaines de Paris en vertu de la loi du 17 juillet précédent qui, abolissant celle de 1852, leur restituait le droit de nommer elles-mêmes leurs conseillers municipaux. Roque (de Fillol) fut nommé à cause, sans doute, de l'ardeur qu'il avait déployée récemment dans la lutte anti plébiscitaire.

Ici se placent la capitulation de Sedan, la destruction de nos armées, l'investissement de Paris, le refuge des populations suburbaines dans la capitale, leurs angoisses patriotiques, le double fléau de la maladie et de la faim que M. Roque (de Fillol) s'efforça d'atténuer, de soulager par un dévouement de tous les instants. C'est dans cet esprit d'abnégation absolue et de profond amour pour ses semblables qu'il faut chercher la véritable cause de la persévérante reconnaissance de la démocratie de Puteaux pour son maire toujours debout et toujours prêt à se sacrifier.

Comme conseiller il participa aux mesures les plus radicales et les plus patriotiques telles que :

Offrande des cloches de l'église de Puteaux au gouvernement de la Défense nationale pour la fonte de nouveaux canons.

Obligation du service militaire pour tous les citoyens, y compris les prêtres. Expulsion des Jésuites avec retour de leurs biens à l'État.

Comme rapporteur de la commission du budget il fit plus encore : il demanda la séparation de l'Église et de l'État et proposa, ce qui fut accepté par le conseil et l'autorité préfectorale, - la suppression complète

Des subventions accordées à l'école congréganiste des sours, au curé, aux vicaires, à la fabrique, ainsi qu'à l'aumônier des prières.

Comme maire il s'appliqua à mettre en pratique ces idées essentiellement démocratiques.

De tout cela - étant donnés les hommes tels qu'ils sont - des haines sourdes qui n'attendaient qu'un moment favorable pour éclater.

Après l'abominable convention de Versailles, les Allemands occupèrent Puteaux et se montrèrent d'une exigence extrême vis-à-vis de l' administration. Ces exigences furent telles qu'il dut en référer à M. Jules Ferry, alors délégué à l'administration du département de la Seine. Il lui écrivait le 15 février :

« La commune de Puteaux que j'ai l'honneur d'administrer, est occupée par les troupes allemandes. Cette occupation me parait contraire à l'art. 3 de la Convention de Versailles stipulant que l'armée ennemie ne devra pas s'étendre en deçà de la ligne des forts formant le périmètre de la Défense extérieure de Paris.

« La guerre nous avait épargné une pareille humiliation. - Hélas I pourquoi faut-il qu'elle nous soit imposée à la faveur d'un traité qui est bien plutôt une capitulation qu'un armistice !

« J'ai le devoir, monsieur le délégué de porter ce fait à votre connaissance afin que vous puissiez rechercher s'il ne constitue pas une violation audacieuse et flagrante de l'acte du 28 janvier dernier. »

Le maire de Puteaux ne se borna pas à écrire, il alla voir M. J. Ferry qui, dans l'excès de son-accablement, ne sut que lui répondre : « Nous ne pouvons rien, nous sommes vaincus. »

Les maires des communes suburbaines dont la population s'était réfugiée dans Paris se réunissaient fréquemment à l'Hôtel de Ville pour y traiter de leurs intérêts communs. Dans la dernière réunion qui eut lieu, dans les premiers jours du mois de mars, sous la présidence de M. J. Ferry, et alors qui le pacte anti républicain de Bordeaux était connu, et que, d'un autre côté il n'était bruit que de coup d'État et du décapitalisation, M. Roque (de Fillol) proposa à l'assemblée d'émettre le vœu que le Gouvernement et l'Assemblée nationale vinssent siéger à Paris.

M. J. Ferry combattit cette proposition comme inopportune, mais l'assemblée des maires s'y rallia.

La paix faite, le maire de Puteaux fit afficher dans sa commune et à Paris une proclamation dont nous citerons les lignes suivantes : « Revenons au sein de nos foyers attristés .que la vie nationale depuis six mois éteinte se réveille... etc. ; etc.

« Nos écoles vont bientôt s'ouvrir, et, puisque, chez nous, l'instruction est gratuite, que les enfants les fréquentent assidûment ; qu'il s apprennent, de bonne heure, les droits et les devoirs du citoyen ; qu'ils sachent ce qu'ils se doivent à eux-mêmes et à leur pays ; qu' ils aient sans cesse sous les yeux le salutaire exemple de nos douloureuses infortunes .. Que la tyrannie, source de nos misères présentes , de nos afflictions, de nos revers, de nos tortures, de nos larmes, leur soit à tout jamais odieuse, et que leurs jeunes cours, nourris des plus mâles vertus civiques, ne s'enflamment désormais que pour l'indépendance de la Patrie, l'amour de la République et de la Liberté. »

Huit jours après éclata la Révolution du 18 mars.
C'est sur Puteaux que fut livré le premier combat entre les fédérés et l'armée de Versailles. C'était le 2 avril.

Placé directement sous les canons du Mont-Valérien et, tour à tour, occupé par les légions belligérantes, M. Roque (de Fillol) avait pour devoir de garder la neutralité afin de ne point compromettre les intérêts de ses administrés, quels que fussent, d'ailleurs, ses sentiments et ses préférences.

Cette neutralité ne lui fut point pardonnée.

En coupant les vivres au clergé, en préludant à la séparation de l'Église et de l'État par la séparation de la paroisse et de la commune, il s'était fait, dans le parti bonapartiste et clérical, des ennemis implacables, parmi lesquels se signalait le cure? du pays, M. Ducastel.

Toutes ses actions, surtout les plus louables, les plus humanitaires, furent taxées de criminelles.

Trois soldats étant en danger d'être fusillés sous ses yeux, il fut pris d'un sentiment de suprême pitié et cet acte lui fut imputé à crime.

Un canon, qu'il n'avait même pas vu, ayant été conduit par la population au camp des fédérés, il fut accusé d'en avoir fait la livraison. Il en fut de même pour des munitions qu'il s'était obstinément refusé de recevoir en dépôt. « Ne pas recevoir, lui fut-il dit, c'était livrer. »

On alla jusqu'à lui reprocher les secours qu'il distribuait aux nécessiteux de la commune et, chose plus incroyable encore, la sépulture qu'il fit donner aux fédérés tombés victimes de leur religion politique, sur le territoire de Puteaux.

Le général Montaudon, auquel ces faits étaient dénoncés, demanda au gouvernement l'autorisation de faire arrêter le maire de Puteaux. Son rapport disait que ce magistrat pouvait, par son influence sur la population « compromettre le résultat des opérations militaires sur Paris. »

M. Roque (de Fillol) fut arrêté le 30 avril, un mois avant la fin tragique de la Commune dont il ne fut pas même spectateur.

Quatre cents gendarmes furent mis en mouvement pour cette arrestation quoique le pays fût militairement occupé, preuve certaine qu'à cette date le gouvernement de Versailles n'était pas sûr du triomphe et que c'était agir sagement que de rester neutre.

N. Roque (de Fillol) fut d'abord jeté dans les caves infectes de la prévôté, puis écroué à la maison d'arrêt de Saint-Pierre.

Pendant qu'il y était au secret le plus strict, ses concitoyens appelés à nommer de nouveaux conseillers lui confirmèrent spontanément son mandat. Ce verdict populaire, loin de désarmer la justice, ne fit que l'irriter.

- Tant pis, dit à cette occasion un officier auquel madame Roque (de Fillol) s'adressait pour avoir une permission, il n'en sera frappé que davantage. »

Le président du conseil de guerre devant lequel M. le maire de Puteaux comparut, s'écria lui-même au cours des débats dans un accès de rage folle :

« La décision du conseil sera terrible (sic) si la preuve est faite que vous avez refusé d'obéir aux ordres du gouvernement. »

Un membre du conseil lui avait déjà posé cette question :
- Je voudrais savoir quelles relations l'accusé a eues avec le gouvernement depuis le 18 mars dernier.

Et celui-ci avait répondu fièrement : - Je n'en ai eu aucune. Je ne savais où prendre le gouvernement légal qui n'était plus à son poste.

Dans l'instruction, tout en protestant qu'il n'avait pris aucune part matérielle aux actes de la Commune, il avait très énergiquement fait connaître ses opinions.

« Je suis républicain, disait-il, républicain sincère, ennemi de la violence de quelque part qu'elle vienne , voulant toutes les libertés compatibles avec notre état social, tous les progrès conformes aux besoins de notre époque et désireux d'en poursuivre sans relâche la réalisation la plus complète par la persuasion et non par la contrainte, par le suffrage librement exprime? qui fonde des ouvres durables et non par la force qui n'enfante que des ruines. Dans cet ordre d'idées j'ai toujours fait des voux pour que Paris fût dote? d'un conseil municipal, à l'égal des autres communes de France. »

Le 10 août 1871, après quatre jours de débats, il fut condamne? aux travaux forcés à perpétuité, par le 4e conseil de guerre présidé par le colonel d'infanterie de Boisdentmetz, sous prétexte que, cédant à un sentiment de suprême générosité et cherchant à sauver la vie à deux ou trois soldats, il avait fait de l'embauchage.

Jeté par la suite de cette condamnation inouïe, contre laquelle s'est toujours élevée la clameur formidable de l'opinion publique indignée , dans le bagne de Toulon où il dut vêtir la tunique rouge de forçat et traîner la chaîne d'ignominie, puis transporté dans les galères calédoniennes, il y passa huit années en proie à tous les opprobres, à toutes les promiscuités, à toutes les souillures, à toutes les humiliations, à toutes les douleurs.
Sans motifs, il fut versé à la 4e classe, réceptacle immonde de tout ce que le bagne a de plus repoussant et de plus abject : travail pénible, nourriture insuffisante, discipline de fer (7). Plus tard, mis au cachot, il y connu les tortures de la faim. Malade, on l' attacha à la barre de son lit au moyen d'une chaîne dont un des deux bouts était rivé à sa cheville (8).

Se peut-il concevoir un sort à la fois plus lamentable et plus digne d'admiration que celui de ce juste en proie à toutes les souffrances physiques, à toutes les tortures morales et les subissant pendant huit années avec le stoïcisme d'une conscience pure et d'un cour tendre et bon, mais inébranlable dans son amour de la justice ?
Quand on lui parlait de démarches à faire pour améliorer son sort, lui procurer un peu de ce bien-être qu'il n'avait plus, de cette liberté qu'il avait perdue, il répondait :
« .Ce qu'il me faut, ce qui excite au plus haut point mon envie, c'est le sol natal, c'est mon berceau, c'est ma patrie, ce sont mes foyers, mes amis, enfin tout ce qui m'est cher, tout ce qui fait le culte de ma vie entière. A côté de ces biens que m'importe une liberté plus ou moins grands ici, surtout s'il fallait l'acheter au prix d'une faiblesse quelconque. » 'Extrait du Daily-News du 11 août 1875).
Et de ce fait, il repoussa comme une offense faite à son caractère un recours en grâce, qu'à quelque temps de là, l'administration lui proposa de signer.
Faisant trêve à sa douleur et à ses peines, il avait composé une Ode à la France, qu'il destinait à l'exposition universelle de Paris (1878). Elle ne put être admise. Nous en détachons une strophe qui se rapporte à la mort de sa mère et qui peint admirablement ce que nous avons déjà dit de son amour filial :
« Elle n'est plus !... Mon père au tombeau l'a suivie,
« Sur ce double sépulcre un brin d'herbe sans vie
« Penche un front abattu
« Mais qu'entends-je ? - on dirait que leur cendre s'anime ;
« Ce cri monte du fond de l'éternel abîme :
« Fils ingrat, viendras-tu ? »

Quels trésors de bonté et de tendresse recèle l'âme de cet homme si grand par le cour ! Nous avons là, entre nos mains et sous nos yeux, cette ode à le France.
C'est tout un poème débordant d'amour pour la patrie absente . et pas une goutte d'amertume n'est mêlée à la douceur de cet amour !
Il fut amnistié par un décret du 11 mars 1879. Ce décret ne lui fut notifié que le 11 juin à l'hôpital de l'ile Nou où il était en trai tement depuis quinze mois.
Embarqué peu de jours après à bord de la Picardie, il arriva dans ses foyers le 9 septembre.
La population si républicaine de Puteaux avait toujours conservé un religieux souvenir de l'ancien et intrépide défenseur de ses intérêts et de ses principes. Aussi, avec quel respect, quel enthousiasme, quelle ivresse profonde elle se porta en masse à sa rencontre. On le conduisit d'abord chez lui, puis on lui donna rendez-vous pour le soir, dans la salle David (9)(10). Ce fut une série de scènes indescriptibles, les armes se mêlaient partout aux cris de Vive la République et au chant de la Marseillaise. Mais nous n'avons pas à rappeler ici des faits qui sont encore dans toutes les mémoires, que la presse locale a enregistré avec fidélité, et qui sont reproduits partout.
Avant son arrivée, le 10 août 1879, huit années jour pour jour après sa condamnation, ses concitoyens lui rendirent le mandat que les juges de 1871 lui avaient ravi.
Quelques temps après son retour, des personnes se disant autorisées du Pouvoir, lui offrirent un emploi aux appointements fixes de 8000 francs qu'il refusa, bien qu'il fût dans un état voisin de la misère, ne voulant pas aliéner son indépendance.
Il a écrit, depuis lors, son histoire qu'il est à la veille de publier. Elle a pour titre : Huit ans de bagne.
Lors de la fête commémorative de la prise de la Bastille offerte par la ville de Paris aux délégués des communes de France (13 juillet 1880), le conseil municipal de Puteaux, à l'unanimité, désigna le citoyen Roque (de Fillol) pour représenter la commune à cette solennité.
Il fut réélu conseiller municipal à une forte majorité, et en tête de la liste radicale, aux élections générales du 9 janvier.
Une élection législative devant avoir lieu le 27 février dans la circonscription de Courbevoie, la démocratie radicale du canton l'opposa à M. Deschanel. Cette élection accomplie en dehors de l'action de la presse et de tous les moyens ordinairement mis en ouvre en pareille circonstance doit être considérée comme le verdict suprême de la conscience populaire. Cette élection eut un grand retentissement et fut considérée à juste titre comme un échec de l'opportunisme.
Quels que soient les candidats qui, aux prochaines élections législatives, viendront se poser en face du citoyen Roque (de Fillol), comme celui-ci n'a pas démérité du peuple, le peuple ne se déjugera pas et lui continuera le mandat qu'il lui a donné le 27 février, afin qu'il puisse travailler efficacement à la réalisation de son programme radical dont voici les points principaux :
Abolition pleine et entière de toutes les lois restrictives de la liberté individuelle et de conscience, du droit de réunion, de presse et d'association. - Enseignement laïque, gratuit, obligatoire, civique et professionnel. - Séparation des Églises et de l'État. Suppression du budget des cultes. - Réduction du service militaire à trois ans, obligatoire pour tous, et suppression du volontariat. - Égalité absolue des congrégations religieuses devant la loi et devant l'impôt. - Réforme de la magistrature. Plus d'inamovibilité. - Élection des juges comme pour les prud'hommes et les tribunaux consulaires. - Expulsion effective de tous les jésuites. - Recherche d'une base d'impôt plus équitable et plus démocratique. - Reconnaissance de la personnalité civile des syndicats ouvriers. - Création d'une caisse de retraite pour les travailleurs. - Autonomie communale .. Révision de la constitution dans le sens de la suppression du Sénat. - Consultation des électeurs dans l'éventualité d'une guerre.
Depuis qu'il siège à la chambre, les principaux votes du citoyen Roque (de Fillol) sont les suivants :

1° En faveur des employés des compagnies du chemin de fer.
2° Pour la laïcisation des cimetières.
3° Pour la démocratisation de l'intendance militaire.
4° Contre les poursuites dirigées contre les journaux à propose de l'assassinat de l'empereur de Russie.
5° Contre la présence d'un délégué de l'ordre administratif et judiciaire dans les réunions électorales.
6° Pour que le Panthéon soit rendu à la destination lui avait donné l'Assemblée nationale en 1791.
7° Signature et vote de la demande d'interpellation et de l'ordre du jour dirigé contre le préfet de police actuel.
8° Pour le renvoi au ministre de la Justice du dossier concernant l'enquête parlementaire ouverte à l'occasion des actes du général de Cissey.
9° Pour l'urgence de la discussion de la loi sur le recrutement de l'armée en vue de rendre obligatoire pour tous, le service militaire.
10° Signé un amendement au budget réclamant la suppression du crédit qui y est inscrit pour l'entretien d'un représentant auprès du Pape.

PIERRE ET PAUL



Notes de Jean-François Martre.


■ 1 - Journal vaudeville de Leuven et Brunswick.

■ 2 - "https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k311644v/f5.item "

■ 3 - Pour en savoir plus sur 1848 et la Foire aux idées, rendez-vous sur Gallica :
      " https://histoirebnf.hypotheses.org/1365 "


Etude028 - 2
Cham, « Ce qu'on appelle des idées nouvelles en 1848 » . Gallica (BnF). [Dessin publié dans le Charivari n° 366, 6 déc. 1848]


Cham, pseudonyme de Charles Amédée de Noé, est un célèbre illustrateur, caricaturiste, ayant publié dans les journaux Le Charivari et l'Illustration.

■ 4 - « Tocsin d'alarmes » publié en 1853 à l'étranger - Recherche en cours.

■ 5 - « Documents sur l'histoire des Incas » en 1870 - Recherche en cours.

■ 6 - Pamphlet de 1865 contre l'Empereur.
Le stratagème le plus souvent utilisé consiste à parler par analogie. Comme Béranger avait mis en musique Charles III pour critiquer Charles X, on peut utiliser Charlotte Corday pour proposer un éloge du tyrannicide commis au nom de la liberté, ou encore montrer une taverne médiévale dans laquelle, pourvu qu'il y ait à boire, le peuple reste joyeux à l'annonce de la mort du roi. Dans ce registre, la plus grande audace fut celle de Roque de Fillol qui, en 1865, n'hésite pas à proposer à la censure des couplets d'une rare violence contre « César ». L'empereur des Français est bien évidemment la véritable cible de ces vers attaquant le dictateur romain auquel il emprunte régulièrement le nom :

« À m'obéir chacune doit se résoudre.
Je suis César craignez mon bras vengeur.
Mais à ton tour, tyran, courbe ta tête,
Porte moins haut l'excès de ton orgueil ;
Vois, sur tes pas, cette foule muette.
Rome déjà te prépare un cercueil.
Use en un jour ton reste de puissance !
De ton pouvoir, hâte-toi de jouir.
Entends ce cri ! - qu'est-ce donc ? - La vengeance !
Allons César, fier César, va mourir »
La Muse du peuple, chansons politiques et sociales en France, 1815-1871, de Philippe Darriulat, Presses universitaires de Rennes 2011.

■ 7 - « Manifeste anti plébiscitaire de mai 1868 » - Recherche en cours.

■ 8 - Organisation du bagne calédonien en quatre classes :
« En ce qui concerne l'organisation disciplinaire, Guillain, contraint de réglementer, publie, le 25 janvier 1865, une décision répartissant en quatre classes les « ouvriers de la transportation ». Les articles 2 et suivants définissent la composition de ces classes : « La première classe comprend les hommes les mieux notés au point de vue de la conduite, de l'assiduité au travail et des antécédents. » parmi eux devront être choisis les chefs de chantier, et les individus susceptibles d'obtenir une commutation de peine ou une grâce ; la deuxième classe comprend les individus qui ne donnent pas encore satisfaction ou qui ont encouru « plus de six punitions l'année précédente » ; la troisième regroupe les hommes dont les antécédents sont mauvais, dont la conduite laisse à désirer, qui sont paresseux, qui tiennent des « propos malveillants » ou qui ont eu de « graves punitions disciplinaires » ; enfin, la quatrième comprend « les individus frappés par une condamnation par le conseil de guerre », « ceux qui par la fréquence de leurs punitions au pénitencier se montrent incorrigibles. » Ces derniers devront être affectés aux travaux les plus pénibles, « tenus à la chaîne, soit isolément soit avec accouplement » , ils seront « enfermés dans une chambrée particulière aussitôt le travail terminé » , et ils seront privés de café et de tabac. »

L'Archipel des Forçats - Histoire du bagne de Nouvelle Calédonie (1863-1931). Louis José Barbançon, Presses universitaires du Septentrion. "https://books.openedition.org/septentrion/54814?lang=fr"

■ 9 - Extrait du livre de François Jourde - Souvenirs d'un membre de la commune, le forçat libéré, édition Librairie contemporaine de Henri Kristemaeckers, Bruxelles, 1877.
« Roques de Fillol, le maire de Puteaux, jeté nu et bâillonné au fond d'un cachot. Employé chez le colonel Charrière, directeur de la Transportation, il a pris des notes redoutables et a failli dévoiler les mystères du bagne, mystères aussi odieux que ceux de l'inquisition. Les terribles secrets que Roques possède doivent mourir avec lui ! »

■ 10 - Extrait (page 121) du livre de Maurice Dommaget « Auguste Blanqui au début de la IIIe République (1871-1880), publié en 1979 avec le concours du CNRS chez Mouton éditeur.

« A partir du 7 décembre 1879, dans ce « Paris moscovite » sortant à peine du blocus provoqué par la rigueur du temps, Blanchi, plein de courage et de dynamisme, recommence son apostolat révolutionnaire, face aux nantis, aux arrivés et aux arrivistes. Le même dimanche, où son neveu par alliance Hippolyte Maze est choisi par le Comité républicain de Versailles comme candidat à la députation, Blanqui préside à Puteaux, salle David, une réunion au bénéfice des amnistiés de Courbevoie. Trois cents personnes y assistent. A son entrée, la fanfare « l'Industrielle » de Puteaux joue la Marseillaise. Les amnistiés présents sont invités à monter sur l'estrade. Un enfant lit un petit compliment et présente un bouquet à l'ancien pensionnaire de Clairvaux qui accepte avec la meilleure grâce. Émile Gautier, Penet et Guesde prennent la parole. Blanqui se borne à prononcer son allocution ; puis il demande qu'il soit alloué une indemnité de dix francs par jour aux condamnés de la Commune ; il précise que cette indemnité devrait être prélevée sur les deniers des membres de l'ex-Assemblée nationale et que, si la somme obtenue n'était point suffisante, on ait recours à la bourse des députés siégeant encore, à condition qu'ils n'aient pas voté l'amnistie plénière. Il termina son exposé en récitant le dernier ouplet du chant de Rouget de Lisle. »

■ 11 - Extrait du Petit Journal du 10 décembre 1879.
On notera que la fanfare l'Industrielle de Puteaux joue la Marseillaise.
La salle David était-elle dans l'ancienne Mairie ? Recherche en cours.



Etude028 - 3


■ 12 - « Histoire de la Presqu'ile de Gennevilliers et du Mont Valérien. » Éditée à Paris, Imprimerie du Progrès en 1889.

■ 13 - Jean Théoxène Roque de Fillol (1824-1889) est enterré au cimetière ancien de Puteaux.





Deuxième témoignage - Le livre de Françoise Beïs-Chartier.

Du bagne à l'Assemblée nationale, 2006, édition Persée.



Etude028 - 5


Lors de ses recherches dans les papiers de famille et sa généalogie, Françoise Beïs-Chartier découvre qu'elle avait un arrière-grand-oncle qui avait été très célèbre en son temps : Théoxène Roque de Fillol. C'est à travers les souvenirs de Jeanne Semin, la compagne de ce dernier, qu'elle fait revivre Théoxène sur la période 1830 à 1900.
Dans le récit, ces souvenirs sont recueillis en 1900 par Maria Battistelliu, fille d'immigrés que Théoxène et Jeanne ont vu naître en 1854, puis recueilli après la mort de ses parents et qui sera considérée comme leur fille.

Jeanne, d'origine lorraine, née à Ay en 1819, monte à Paris en 1837 à l'âge de 18 ans. Apprentie couturière douée, elle épouse François Thil en juillet 1847 et se met à son compte rue Boudreau (près de l'opéra).
Malheureusement, elle comprend vite que la maladie de François s'aggrave (tubercolose). En 1853, ils recherchent une famille à la campagne, pas trop loin de Paris, pour accueillir le malade, qui n'a pas les moyens d'aller dans un sanatorium, et c'est comme cela qu'ils font la connaissance, des parents de Maria, qui habitent au bon air sur les hauteurs de Puteaux.

Les affaires de Jeanne démarrent bien, et dans les années 1851-1852, parmi sa clientèle, elle s'occupe de la maison Berghof, des alsaciens habitant au 45 de la rue Caumartin. Ces derniers logent Théoxène Roque depuis son arrivée à Paris en 1850 en l'envoient chez Jeanne pour qu'elle s'occupe de son linge. Théoxène est alors coulissiers : juriste, il fait profiter de ses connaissances les petites entreprises non cotées en bourse et négocie pour elles les ventes d'actions. Il se fait remarquer pour son honnêteté. Théoxène est plutôt grand avec de beaux yeux gris. Large front, cheveux portés un peu long derrière, barbe fournie comme celle de Victor Hugo.

Peu de temps après l'arrivée de François Thil chez les Battistelli, le père de Maria avait été victime d'un accident du travail après une chute de vingt mètres depuis un échafaudage rue de Rivoli. François Thil mourra de sa maladie à 34 ans en 1856. Pendant ces trois années, la mère de Maria s'est appuyée sur François pour faire tourner sa maisonnée et Jeanne a toujours eu des doutes sur la paternité de Maria.Prenant le deuil, Jeanne fit teindre ses vêtements chez le teinturier Guillaumet à Puteaux.

Maintenant, Roque fréquente régulièrement l'atelier de Jeanne qui devient le lieu de rendez-vous discrets où l'on échange écrits et politiques entre amis loin des oreilles de la police de Napoléon III.
Monsieur Potocki, un industriel (la torréfaction de café) impressionné par sa probité l'embauche pour s'attacher ses services de façon exclusive.
C'est pour le compte de Potocki que Théoxène part aux Antilles françaises et en Amérique centrale (diversification de sources d'approvisionnement et recherche de commercialisation de produits de la métropole). Sur le plan personnel, il veut observer et comprendre les raisons et les conséquences sociales de la politique étrangère et coloniale de Napoléon III.
Jeanne ne recevra des nouvelles de Théoxène que par l'intermédiaire de Guillaumet, de Madame Berghof, de ses amis et même de Monsieur Potocki.

Il rentre un an plus tard, et après avoir fréquenté chaque jour l'atelier, il lui propose de vivre ensemble. Libre penseur, il considère le mariage comme un asservissement de la femme : « Je ne vous épouserai pas Jeanne, mais je vous aime ». Elle l'aime depuis longtemps et de ce jour de 1857, ils s'installent ensemble rue Bergère (près des grands boulevards) avec un atelier plus confortable. Ils vont y rester Huit ans, elle, faisant tourner son atelier de couture et lui travaillant pour Monsieur Potocki et partageant ses idées sociales et de progrès avec ses amis en réunions secrètes. Lui et ses amis sont surveillés par la police, il n'y a pas de liberté de réunion ni de rassemblement.

En 1865, la mère de Maria qui était resté très proche de Jeanne et de Théoxène meurt et ces derniers propose au conseil de famille de prendre Maria comme apprentie chez Jeanne. Au même moment, Théoxène perd son père. Avec sa part d'héritage, il décide de se retirer des affaires pour devenir un citoyen écrivain comme Victor Hugo et d'autres hommes de son temps. Ils décident de se fixer à Puteaux à cause de Maria, et louent une petite maison de la rue des Coutures (actuelle rue Roque de Fillol) ; Jeanne y transfert son atelier. Se sachant surveillé pour des raisons politique, Théoxène veut que Jeanne soit financièrement indépendante et préfère louer une maison dont elle ne pourra pas être délogée s'il est arrété.
En quelques années, la ville de Puteaux passe de 5000 habitants en 1855 à 10000 en 1865 et à 15000 en 1880. Une population ouvrière s'installe attirée par l'industrialisation en cours, mais aussi chassée de Paris par les travaux d'urbanisation d'Hausmann et l'augmentation des loyers parisiens. La seconde vague est formée par les ouvriers du nord chassés par la guerre et les familles d'Alsace et de Lorraine qui fuient leurs régions pour rester français.

Les rassemblements de personnes sont autorisés en 1868, mais pas pour des motifs religieux ni politiques. C'est l'époque des banquets organisés dans les salles de bals ou les gymnases, où on se réunissait pour manger pendant que les orateurs se succédaient.

Jeanne raconte ensuite l'année terrible qu'elle a vécu aux côtés de Théoxène, élu d'abord conseiller rapporteur de la commission du budget en charge de pourvoir à l'intendance des putéoliens restés à Puteaux ou partis à Paris, puis maire en charge du retour et de la relance économique de la ville.
La défaite, la distribution des armes aux civils, non préparés ni organisés, pour défendre Paris, l'arrivée des allemands ; le pays désorganisé et les moissons non effectuées entrainant le manque de nourriture ; la recherche de ressources et l'appel aux dons ; la protection des citoyens et des biens .
Puis c'est la Commune, les évènements d'avril 1871 à Puteaux, pris entre deux feux, au cours desquels leur maison a été éventrée par 4 ou 5 obus détruisant portes, plafond et la moitié de la toiture. D'autres maisons de la rue avaient été touchées et on déplorait la mort de plusieurs voisines.

Roque n'avait pas la popularité d'un Victor Hugo, mais il en avait la liberté d'expression. Là on son ainé en littérature s'était exilé, il s'était engagé dans la vie publique au service de la population de Puteaux. Cet humaniste engagé auprès de tous était un homme libre faisant bénéficier le plus grand nombre de ses réflexions et cela déplaisait en haut lieu.
Jeanne raconte l'arrestation le 30 avril, avant la fin de la Commune, suivi du procès devant un tribunal militaire dont les témoins à charge sont principalement des opposants de sa commune, de la condamnation aux travaux forcés à perpétuité. Les poèmes qu'elle reçoit ainsi que quelques courriers du bagne de Toulon avant le départ fin janvier 1872 pour la Nouvelle Calédonie. Elle continue à recevoir des lettres pendant le voyage, puis incarcéré au bagne de l'ile de Nou, il lui en décrivait la vie quotidienne. C'est la publication de certains extraits de ces lettres par un journaliste du Daily News qui fit envoyer Théoxène au fond d'un cachot pour espionnage .
Théoxène, amnistié, rentre le 9 juin 1879 à Toulon par le bateau hôpital « la Picardie », et le 9 septembre il est à Puteaux, et dès le soir il est fêté salle David. 2 février 1881, Théoxène est élu député, inscrit aux radicaux intransigeants.
En 1884, pendant l'épidémie de choléra qui ravage le sud de la France, il fait une tournée d'information et de recommandation, en 1889 son d ernier voyage pour son parti est pour la Manche jusqu'à Brest. Le 15 mars 1889 il donne sa démission de député car à la suite de la condamnation du général Boulanger à la déportation à vie et de la dissolution de son parti la Ligue des patriotes, plusieurs députés avaient été traduits en justice pour avoir soutenu Boulanger malgré leur immunité parlementaire ce que Théoxène homme libre et républicain ne pouvait accepter. Souffrant depuis 1887 de crise rhénales, il prend une dernière cure à Vichy en juillet 1889 et s'éteint à Puteaux le 10 septembre 1889. Son enterrement au cimetière de Puteaux a été l'occasion de grands discours de personnalités politiques de l'époque, comme monsieur Clémenceau, Charles Floquet, ancien président du Conseil, de nombreux ministres . et aussi d'anciens compagnons de bagne.
Jeanne meurt en 1900 et est enterrée à Levallois.



Troisième témoignage - Le portrait par Auguste Durst.




Etude028 - 6
Roque de Fillol, portrait par Auguste Durst, 1881, AMP, 13Z2.


« Dans son livre « Puteaux, chroniques du temps des puits », Jean-Émile Denis nous rapporte une anecdote qui eut lieu en 1895 au sujet de ce tableau :

« On se souvient qu'après le décès de son mari, Mme Roque de Fillol avait fait don à la Commune du portrait de l'ancien député de la Seine , peint par Durst. Par ailleurs, la situation pécuniaire de la veuve de la victime des tribunaux de Versailles n'était pas très brillante. Roque, en effet, ne possédait pas de fortune personnelle et ne vivait que de son traitement de député ; aussi l'état d'indigence dans lequel se trouvait sa veuve avait-il ému le Député socialiste de la circonscription, Chauvin, qui, en mars 1895, envoya à Decroix, le Maire de Puteaux, la lettre que nous reproduisons ici :


Monsieur le Maire,
La brave femme qui, pendant trente-cinq ans, fut la compagne du regretté Roque de Fillol, est aujourd'hui sans ressource.
J'ai l'honneur d'appeler votre attention sur cette situation, certain que vous proposerez au Conseil Municipal de Puteaux de prendre une délibération, tendant à honorer la mémoire de ce grand citoyen autrement qu'en laissant mourir de faim dans la rue sa digne compagne.
En tout cas, Monsieur le Maire, si vous ne croyez pas, d'accord avec votre Conseil, devoir prendre une délibération de nature à assurer les moyens d'existence de cette brave femme, décidez au moins, je vous prie, que le grand et beau portrait de Roque de Fillol, qui est, d'après ce que l'on m'affirme, remisé sous les combles de la Mairie, soit mis à la disposition du Groupe d'Union Socialiste Révolutionnaire de Puteaux. Les barbares qui composent ce groupe organiseront une tombola qui réussira, nous l'espérons, à assurer du pain à la citoyenne Roque de Fillol.
En nous adressant aux membres de la Revendication et à toute la population ouvrière et socialiste de Puteaux, il nous sera facile de placer 4 à 500 billets à 0fr25.
En attendant votre réponse, je vous prie, Monsieur le Maire, de croire à mes sentiments distingués. »


Decroix on s'en doute, au reçu de cette lettre, fut passablement contrarié de voir que les socialistes putéoliens voulaient pallier la carence municipale observée vis-à-vis de la veuve de Roque. Aussi, s'empressa-t-il de déclarer que Mme Roque n'avait jamais réclamé le portrait de son mari, qui était placé dans la salle du Bureau de Bienfaisance et que, de plus, elle n'avait sollicité, ni ne voulait accepter aucun secours, ainsi que le témoignait la lettre qu'elle venait de lui adresser, et où elle disait notamment :

« Monsieur le Maire,
Je vous prierais de déclarer au Conseil que je n'ai jamais prié M. Chauvin, Député, de demander du secours pour moi. Il est vrai que je lui ai demandé un service, mais c'était personnel. M. Roque ne m'a pas laissé de fortune, mais je me contente du peu qu'il m'a laissé.
Quant au portrait de M. Roque, personne n'a le droit de s'en emparer. Jamais, au grand jamais, il ne sera mis en loterie. Je l'ai donné à la Mairie, et je désire qu'il reste à la Mairie après ma mort.
Cependant, Monsieur le Maire, j'ai une grâce à vous demander, c'est d'être enterrée avec M. Roque.
Recevez, Monsieur le Maire, mes salutations empressées. »


Le Conseil, en entendant cette triste demande, ne pouvait faire mieux que de l'accorder, ce qu'il fit au reste après quelques observations .
Françoise Beïs-Chartier nous apprend dans son livre qu'à la mort de Jeanne, cette promesse ne fut pas tenue !




J.F.M. - 05-2021