Le jardin des vignes

Le jardin des vignes













































































étude

Puteaux et la vigne

Par Jean Pierre Brut, Anne Chabot et Gérard Leclerc

Le 19 septembre dernier  a été inauguré par Mme Le Maire le « Jardin des Vignes ». Ce jardin situé  rue de la République, à proximité de la gare, est là pour rappeler que la viticulture a été pendant plusieurs siècles la principale ressource économique de notre ville, comme l’était le vin de Suresnes dont il a été beaucoup parlé et dont le vignoble, qui donnait, dit-on, un vin réputé, date du IXe siècle. Le relief naturel de notre commune, formé en partie du versant abrupte sud-est  du Mont Valérien,  à l’exemple des rues Monge et Brazza, correspond à des coteaux bien exposés et donc  propices à la culture de la vigne le vitis vinifera dont on recense plus de 10 000 variétés de cépages en France.

La création administrative de notre ville est l’œuvre de Suger en 1148, célèbre abbé de Saint Denis, dont l’abbaye possédait les terres couvrant cette boucle de la Seine. Suger en créant cette cité voulait les faire exploiter par ses habitants en leur accordant divers privilèges. On peut imaginer qu’il attachait une grande importance à la vigne pour les avoir incités à produire du vin. Il est vrai que, d’une part, dans la religion catholique le vin est un symbole fort qui représente le sang du Christ et que de nombreux évangiles cite le travail de la vigne en exemple, et que d’autre part, les coteaux de Suresnes de même exposition était déjà plantés de vignobles rentables, or la ville est déjà érigée en paroisse depuis 1070 et Puteaux n’est alors qu’un hameau dépendant de Suresnes.

Les registres paroissiaux de Puteaux où sont inscrits les baptêmes, mariages et sépultures des putéoliens montrent au travers de ces actes une majorité importante de vignerons et il existe même un acte de mariage daté du 9 juin 1699 d’une vigneronne. Dans un état dressé en vertu de la loi du 10 vendémiaire an IV (2 octobre 1795), sur 283 personnes recensées à Puteaux, 167 se qualifient de vignerons et l’on peut penser que certains ouvriers agricoles devaient se présenter comme tels ce qui donne à penser que c’était à cette époque une activité valorisante. A cette époque, la Saint Vincent, patron des vignerons, le 22 janvier est un jour de fête, c’est aussi le moment de la taille de la vigne, avec cortèges,  messe, procession, vin d’honneur et élection d’un ‘’patron’’ pour l’année. Un proverbe nous apprend que : « A la Saint Vincent, l’hiver se rend ou se reprend »… « A la Saint Vincent clair et beau, plus de vin que d’eau. »

Les quelques  actes notariés anciens des archives mentionnent très souvent les perches de vignes. La « perche » est une mesure agraire de superficie qui remonte au XIe siècle et qui varie selon les régions sur l’ensemble du royaume de France. Elle représente le centième d’un arpent. L’arpent, créé au XIIIe siècle, représentait à Paris 34,17 ares et bien entendu variait lui aussi selon les provinces de 34 à 66 ares. Nous savons que la superficie actuelle de Puteaux est de 319 hectares, or dans un document d’arpentage de 1782, la superficie de Puteaux, la même qu’aujourd’hui, est de 820 arpents, 52 perches dont 463 consacrés à la vigne. Un autre plan d’intendance de la même année indique : 820, 52   arpents dont 310 arpents de vigne. L’arpent de Puteaux peut ainsi être estimé à environ 38,9 ares soit une superficie comprise entre 120 et 180 hectares de vignes exploités en 1782. Ceci montre l’importance attachée à cette activité viticole qui représente plus du tiers de la superficie de la ville et qui emploi 60 % de la population.

Mais tout n’a pas toujours été  facile pour les vignerons de notre ville. En effet, dès 1579, il est interdit aux marchands de vin de Paris de s’approvisionner dans un rayon de  moins de 20 lieues autour de Paris soit environ 65 kilomètres. Par contre les vignerons pouvent vendre eux mêmes leurs vins. Mécontents de cette situation, en 1625, les habitants de Rueil, Suresnes, Colombes, Puteaux et Nanterre réclament que les marchands puissent venir vendre leur vin aux négociants de Paris. Ils sont déboutés et il leur faudra attendre le rude hiver de 1709 pour qu’ils puissent venir proposer le vin d’Ile de France aux parisiens.

Mais les droits qui frappent la production  vinicole sont lourds et l’article 3 du Cahier de doléances demande la suppression des droits d’aide qui sont «  d’autant plus accablants pour la malheureuse paroisse de Puteaux que presque tout son territoire est planté en vignes qui produisent un vin de la plus médiocre qualité dont la vente est presque impossible attendu que les Marchands de Paris ne veulent pas en acheter vu que les entrées de Paris coûtent aussi cher pour ce mauvais vin que le meilleur de Bourgogne ou de Champagne. Il serait à souhaiter pour les environs de Paris que les vins qui en proviennent fussent classés et que le prix de l’entrée fût modéré et relatif à leur valeur. »
Cependant, ces interdictions de vente de vin à Paris a suscité la création de guinguettes dans les communes périphériques de Paris dont une créée notamment à Puteaux.

Dès l’an III (20 septembre 1795), les registres de délibérations du Conseil Municipal donnent les dates des bans de vendange : la récolte du raisin peut alors commencer. Et l’on peut ainsi suivre pendant un demi-siècle les dates des vendanges qui s’étalent du début du mois de septembre jusqu’en octobre. On peut y lire par exemple qu’en 1811, elles commencent le 2 septembre et qu’en  1816, les bans débutent le 13 octobre. En outre le Conseil municipal du 23 juin 1818 déclare que l’établissement d’un port sur le Seine ainsi qu’un lieu de dépôt pour le vin et les marchandises constituerait un « bien infini pour la classe ouvrière ».

Mais cette culture vinicole va progressivement perdre de son importance. En effet, la ville commence à accueillir les manufactures : les encres Lorilleux dès les années 1820, puis les impressions sur étoffes, au milieu du XIX° siècle ainsi que les usines automobiles et d’aviation de la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. Le dernier ban de vendange est ainsi daté de 1856. A cette époque, commence une nouvelle ère pour Puteaux. Les terres agricoles sont urbanisées, la ville commence à s’industrialiser entraînant une poussée démographique sans précédent, la population a décuplé en 60 ans de quelques 1 000 habitants au début du XXe siècle elle passe à 3 000 en 1848 pour atteindre 9 248 en 1861. Mais il faut ajouter à cette situation l’invasion du phylloxera en 1860 qui touche plus de deux millions d’hectares de vignes en France.

Il en est fini de la petite bourgade agricole et vinicole, Puteaux est devenue en un demi siècle une cité industrielle et ouvrière.