
" L'aquarelle est-elle un art mineur ?
Son histoire de Dürer à Jackson Pollock "
Par Jean Roussaux
Texte d'une conférence de la SHALP au Palais de la Culture du 28.09.2024
1- Introduction. Si vous feuilletez un livre d'histoire de l'art ou un de ces beaux ouvrages qui
décrivent avec de fort belles reproductions les tableaux des grands artistes ou si vous vous intéressez à leur
vie, décrite dans de nombreuses biographies, vous ne trouverez que bien rarement évoquée l'aquarelle. Cette
variété de peinture à l'eau si abordable par chacun ne serait-elle qu'un art mineur ? En parcourant ensemble une
petite histoire de l'aquarelle chacun pourra se faire une opinion.
2- Bref historique
C'est dans l'eau que la vie est apparue sur terre. De même c'est grâce à l'eau que la peinture a pu naître. La
peinture à l'eau est la plus ancienne des techniques. La plus universelle aussi. Doit-on rappeler que les
peintures rupestres seraient des œuvres faisant appel à une technique semblable au pastel dilué et que les
premiers textes des Egyptiens confiés aux bandes de papyrus sont illustrés de figures peintes à l'eau. Chez les
Hébreux les premiers textes sacrés sont tracés sur des papyrus ou du cuir puis sur des parchemins plus ou moins
enluminés. Les romains illustrent les textes des « volumes » avec des couleurs transparentes, peintures à la
détrempe ou à tempera, qui servent aussi aux décorations murales. En Chine et au Japon les peintures des
premiers siècles sont des peintures à l'eau comme l'aquarelle et dans le monde arabe, dont la peinture connaît
son apogée au XIIIème siècle, les illustrations de manuscrits comme le Maqâmât d'Al-Harîrî sont de belles
peintures sur papier. C'est à la Chine que l'on doit l'invention du papier qui, en Europe, va remplacer les
parchemins au cours du XVème siècle et permettre le dessin et le lavis. Parallèlement les plumes et les pinceaux
se diversifient servant à écrire ou à peindre. Finalement les premières peintures sont des peintures à l'eau.
Utilisée dans toutes les civilisations, la peinture à la détrempe subsiste encore au Moyen-âge en Europe où elle
permet les enluminures et la réalisation de fresques. Son utilisation restera universelle jusqu'au XIVème siècle
lorsque la peinture à l'huile est inventée par un peintre flamand, peut-être Jan Van Eyck (1390-1441). A partir
de cette époque la peinture à l'huile se généralise car, contrairement à la peinture à l'eau, elle permet les
retouches et assure une bonne conservation des œuvres.
3- Les techniques de peinture à l'eau
Lorsqu'on parle de techniques de la peinture il faut bien distinguer les techniques générales de la technique
particulière d'un peintre donné laquelle comporte bien des adjonctions au schéma général : utilisation ou non de
couleurs saturées, rapidité variable de la touche, papier plus ou moins humide et finalement l'acte créateur qui
varie naturellement d'un peintre à l'autre.
Dans la peinture à l'eau, l'eau est le solvant qui dissout des pigments finement broyés. Afin de fixer le
pigment on introduit un liant dont la nature donne des variantes de peinture à l'eau : L'addition d'une colle
(gélatine, colle de poisson, amidon) donne la détrempe, la fabrication d'une émulsion à base d'œuf donne la
peinture à tempera, éventuellement additionnée de résine ou même d'huile. L'addition de gomme arabique tirée
d'un acacia donne une couleur que l'on peut diluer : c'est l'aquarelle, fluide et transparente ; l'addition de
miel rend la couleur plus résistante au temps et lui donne plus d'éclat et de luminosité. Au contraire, si l'on
ajoute un blanc métallique, on obtient une couleur épaisse et pâteuse, la gouache, opaque et couvrante. Au
Moyen-âge les manuscrits font appel à des gouaches comportant du vinaigre, du sucre candi ou de la bile (fiel).
Plus récemment on a pu ajouter des dextrines (produits dérivés de l'amidon) ou des polymères acryliques.
Les pigments sont initialement des minéraux natifs (malachite : vert ; orpiment : jaune ; réalgar : orange.) ou
des produits organiques (cochenille, bois de saule brûlé.). Ultérieurement, et bien plus tard, s'introduiront
des composés organiques de synthèse : les peintures vinyliques et acryliques sont aussi des peintures à l'eau.
La peinture à l'eau a donc une longue histoire, ses techniques sont variées. Selon ses variantes elle peut
s'appliquer sur toute sorte de supports et son utilisation restera universelle jusqu'au XIVème siècle, alors
pourquoi l'aquarelle ne figure-t-elle pas au palmarès de la peinture ? serait-elle un art mineur, voire un art
dévalué ? Pour répondre, place à l'histoire de l'aquarelle !
4- Les premiers aquarellistes
Jusqu'au XIVème siècle les peintures sont donc des variantes de la peinture à l'eau. La peinture chinoise, des
illustrations de manuscrits du Moyen-âge et certaines œuvres de précurseurs comme Dürer (1471-1528), Raphaël
(1483-1520) ou Rubens (1577-1640) et les peintres de leurs ateliers, utilisaient l'aquarelle. Chez ces derniers
l'aquarelle, souvent monochrome ou lavis, servait à créer les ébauches de leurs œuvres à l'huile ou les
« cartons » préparatoires à la confection de tapisseries.
5- En effet la découverte de l'huile
relégua l'aquarelle à des esquisses pour de futures œuvres à l'huile et à
des peintures de petit format ou à des croquis pris sur le vif, sortes de notes de couleur. Vous voyez ici deux
belles esquisses au lavis de Lorrain et de Poussin qui sont riches de dégradés matérialisant le volume.
Rembrandt, réalisa aussi de tels lavis mais l'un des premiers grands aquarellistes est Dürer, pourtant ses
aquarelles ne représentent à son époque qu'une production plutôt isolée, la plupart des paysagistes pratiquant
le dessin à la plume.
|